J'ai commencé une formation de chef de quart en ab initio donc SM en brevet supérieur NAVIT. Je suis partie avant la fin de mon contrat. Ce dont je ne suis pas fière du tout. Je n'ai rien à reprocher à la marine nationale à laquelle je dois beaucoup. Le CIRFA ne savait pas ce qu'était une CPGE littéraire, on m'a dit qu'il n'y avait pas d'interprètes dans la marine, point. On ne m'a jamais dit d'aller toquer deux portes plus loin pour voir ce que l'armée de terre avait à me proposer.
Mes professeurs de français et d'anglais à maistrance m'ont demandé ce que je faisais là (avec respect et gentillesse) j'ai répondu que j'aimais ce que je faisais et que j'étais persuadée de l'intérêt dans la marine de gens qui aimaient le théâtre contemporain et la littérature anglaise, ils ont souri. Ma cothurne m'a dit que je n'avais rien à faire là, je me suis accrochée de toute mes forces. Je ne me suis pas ennuyée à maistrance, j'ai rencontré d'autres gens que ceux des scouts, du conservatoire de musique et de la prépa, j'ai appris beaucoup de choses, j'ai fait de l'anglais comme une dingue (je faisais allemand en prépa et pas anglais) et j'ai eu une bonne note au TOEIC, j'ai eu un 20 en français sur la note d'exposé (mon sujet était "en quoi est-ce que l'ordre serré reflète le caractère à la fois individuel et collectif de l'engagement militaire?") et les gens étaient intéressés. Le commandant et la directrice m'ont dit de continuer comme ça et que je pouvais aller loin. Bref, j'étais super fière et je n'avais pas la maturité de comprendre que "on voit rarement des gens comme ça" ce n'est pas qu'un compliment, c'est aussi une invitation à réfléchir sur son orientation.
J'ai une reconnaissance sans borne pour l'équipage qui m'a accueillie en stage, ils m'ont laissé faire beaucoup de choses et sur le plan humain, c'était aussi très riche. Mais un jour le second m'a dit de me débrouiller pour évoluer parce que j'allais finir par tourner en rond, je l'ai pris comme un encouragement (l'orgueil, l'immaturité...). Mon patron m'a dit un jour "si maintenant tu te fais chier, pars parce que sinon tu vas être malheureuse", je n'ai pas su entendre.
Je suis arrivée en école de spécialité et c'est là que c'est devenu dur. Je me suis retrouvée dans un secteur où il y a beaucoup moins de recherche, la documentation tourne en rond. Un manuel du SHOM en cite un autre, c'est compliqué d'approfondir. Un Amiral nous a dit lors d'une conférence de nous intéresser à la navigation par gravimétrie sauf que ça sert aux sous-marins donc soit les gens ne savaient pas, soit ils ne répondaient pas. J'ai lu une thèse civile sur la gravimétrie aéroportée et j'ai abandonné l'idée d'approfondir mes cours. Je ne faisais pas aucun effort non plus, je courais tous les jours (j'ai un niveau déplorable en sport donc ce n'était pas du luxe), j'allais au simulateur de navigation tous les soirs en HNO pour faire barreur pour les élèves officiers, j'ai lu la mesure de la force et je me suis mise au russe.
J'ai quand même fini par me laisser couler au bout de trois mois de formation et j'ai été voir mon directeur de cours pour demander à avoir un contrat QMF pour embarquer plus vite parce que je ne sentais pas capable de passer encore un an dans cette école. Il ne l'a pas bien pris (mais il a pris du temps pour me parler à plusieurs reprises, par ailleurs, je l'apprécie et n'ai rien à lui reprocher). On était en juin, je me suis inscrite en L3 et je me suis dit que ça m'aiderai à tenir le coup de faire des études en parallèle. Une professeur de français m'a donné ses manuels d'ancien français et ses fiches de l'agrégation pour que j'arrête de poser des questions en cours, ça m'a fait plaisir au-delà de ce qu'elle peut imaginer. J'ai essayé de passer des certifications en langue dans l'armée mais je n'ai jamais réussi malgré pas mal de questions et de mails.
Trois mois plus tard, malgré la fac, j'ai demandé à partir. Mon directeur de cours m'a envoyée chez le capitaine qui m'a demandé ce que je faisais là et qui m'a dit de partir faire des études en précisant "n'hésitez pas à revenir dans quelques années". J'ai fait le ménage quelques semaines (c'était assez chouette parce que le capitaine d'arme me laissait lire quand j'avais fini le travail de la journée). J'ai travaillé à l'atelier entretien des voiliers pendant deux mois, puis je suis sortie de l'institution et j'ai pu raccrocher le deuxième semestre de L3, ayant fait le premier toute seule en revoyant des DM aux profs.
La réserve recrute des spécialistes pour des métiers qu'elle n'a pas dans ses rangs. Mon objectif est de passer des certifications en anglais, allemand, italien et russe et éventuellement d'apprendre une langue rare utile à l'Armée française, puis de contacter l'anolir (association nationale des officiers et sous-officiers linguistes de réserve) pour voir si mon profil les intéresse.
Je suis désolée pour ce pavé. Je n'ai vraiment rien à reprocher à l'armée qui ne peut pas créer des filières pour tous les gens bizzares qui ne veulent pas faire Saint-Cyr.