https://www.opex360.com/2025/06/03/le-senat-sinterroge-sur-labsence-de-commandes-du-ministere-des-armees-aupres-de-lindustrie-de-la-defense/
Ces dernières semaines, la communication de la Direction générale de l’armement [DGA] est plutôt atone… et les rares commandes qu’elle a annoncées ont pour la plupart été notifiées à la fin de l’année 2024, comme celle portant sur l’acquisition de 530 véhicules blindés Serval « Appui SCORPION » au profit de l’armée de Terre.
Pourtant, avec un budget porté à 50,5 milliards d’euros [+ 3,3 milliards par rapport à l’exercice précédent], dont 20,2 milliards « d’engagements juridiques » et 10,6 milliards de crédits de paiement [+ 16 %] pour les programmes à effet majeur [PEM], hors dissuasion, on aurait pu s’attendre à une succession d’annonces sur des commandes et des livraisons de nouveaux équipements.
Cela étant, les négociations avec les industriels étant souvent longues [quand elles ne sont pas âpres], la DGA a pour pratique de notifier les commandes importantes en fin d’exercice, ce qui, par ailleurs, coïncide généralement avec le déblocage des crédits gelés en début d’année au titre de la réserve de précaution.
Une autre raison pouvant expliquer l’attentisme actuel tient aux recommandations que contiendra la Revue stratégique actualisée, laquelle est susceptible de revoir les priorités de la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30. Mais elle n’est apparemment pas la seule.
Fin mai, la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées s’est penchée sur le rapport sur les « Perspectives de financement des objectifs fixés par la LPM 2024-30 », publié par le sénateur Dominique de Legge et dont les conclusions rejoignent peu ou prou celles de la Cour des comptes sur l’exécution du budget 2024.
Ce rapport fait état de trois points d’attention majeurs.
Le premier porte sur le report de charges qui, pour rappel, est une astuce comptable consistant à ne payer les factures que l’année suivante, des intérêts moratoires étant versés aux créanciers en contrepartie.
Or, en 2024, le niveau de ce report de charges a atteint le niveau – inédit – de 8 milliards d’euros. « Cela relève purement et simplement de la cavalerie budgétaire », a dénoncé M. de Legge devant ses collègues de la commission des Affaires étrangères et des Forces armées.
En outre, le total des autorisations d’engagement [AE] non couvertes par des crédits de paiement [CP] s’élève à 99 milliards d’euros, soit l’équivalent « de deux années de crédits budgétaires », a relevé M. de Legge. Résultat : « 90 % des crédits 2025, hors personnels, vont servir à payer des dépenses décidées les années antérieures, ne laissant que 10 % de marges de manœuvre pour financer des orientations nouvelles », a-t-il ajouté.
Le dernier point d’attention concerne les recettes exceptionnelles [REX], qui représentent 13 milliards sur les 413 prévus par la LPM 2024-30. Or, elles sont, par définition, incertaines. « Un tiers sont des remboursements aux services de santé et donc existent, un tiers sont des dividendes de participation de l’État dans des entreprises, dont en 2024 on n’a pas vu la couleur, même si on nous dit que cela sera mieux en 2025 et le dernier tiers, ce sont les fameux reports de charges qui constituent bien une dépense ! », a détaillé le rapporteur.
En outre, faisant observer que « 3,2 milliards ont été gelés » par l’exécutif, M. de Legge s’est demandé si l’on pouvait « vraiment parler d’économie de guerre » quand, en plus, « le gouvernement n’exécute pas la LPM en fin de gestion comme votée ». Et d’insister : « Entre les crédits annulés, débloqués, dégelés et le financement des surcoûts, le budget des armées y est pour 1,2 milliard de sa poche ».
C’est ce qui expliquerait, selon lui, la raison pour laquelle les « industriels se plaignent de ne pas avoir de visibilité sur les commandes annoncées mais non confirmées ».
Ce constat a été partagé par la sénatrice Hélène Conway-Mouret. « Je confirme que les industriels sont très inquiets. On leur demande de faire plus et plus vite, mais un industriel me racontait récemment que c’était la première fois de sa carrière qu’il n’avait pas de commande depuis 5 mois », a-t-elle réagi.
« On se retrouve avec des entreprises qui sont en difficulté car les commandes ne sont pas au rendez-vous », a abondé le sénateur Pascal Allizard, qui s’est notamment intéressé au financement des entreprises de la Base industrielle et technologique de défense [BITD] durant ces dernières années.
Pour le président de la commission des Affaires étrangères et des Forces armées, Cédric Perrin, il est nécessaire que le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, et que le Délégué général pour l’armement [DGA], Emmanuel Chiva, viennent donner quelques explications.
« Nous avons, si l’on peut dire, laissé sa chance au produit en espérant que des bonnes nouvelles arrivent. […] Mais force est de constater que nous faisons face à un double mur : celui de la dette et celui de l’absence de commandes », a-t-il dit.
« Les entreprises de la BITD ont pris sur leur trésorerie en attendant les commandes. Beaucoup d’entreprises qui ont répondu positivement à la demande du chef de l’État de produire davantage et plus vite et qui ont mis en place des dispositifs de production ne peuvent survivre qu’avec des commandes », a souligné M. Perrin.
Aussi, a-t-il continué, « il faut organiser une audition du ministre et du DGA pour évoquer les suites » car « on ne peut pas dire aux PME et aux ETI, voire aux grands groupes, qu’il faut être plus agile, plus réactif et produire plus vite sans commandes ».