L’une et l’autre ayant respectivement mis l’accent sur la « réparation » et la « cohérence », les deux dernières Lois de programmation militaire votées par le Parlement pour les périodes 2019-25 et 2024-30 n’ont pas jugé utile de revoir à la hausse le format des armées, lequel avait été défini par le Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale de 2013. Et, le moins que l’on puisse dire est que ce document n’aura pas été d’une grande clairvoyance sur l’évolution de la conflictualité.
Military first aid kits
Cela étant, seule l’armée de Terre a pu augmenter l’effectif de sa Force opérationnelle terrestre [FOT] après les attentats de janvier 2015. Quant à la Marine nationale et l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE], il leur a fallu consacrer des ressources pour prendre en compte de nouveaux champs de conflictualité tout en modernisant certaines de leurs capacités clés, sans toutefois aller jusqu’à la renforcer.
Ainsi, avec seulement quinze navires dits de premier rang [en comptant les cinq frégates de type La Fayette, aux capacités limitées], l’activité de la Marine nationale va bien au-delà de son contrat opérationnel depuis maintenant plus de dix ans. Pour tenir ses engagements, elle n’a d’autre choix que d’augmenter le nombre de jours passés en mer grâce à un Maintien en condition opérationnel [MCO] performant et au concept de double équipage.
Cependant, cette pratique a ses limites, comme l’a rappelé, encore une fois, le député Yannick Chenevard qui, dans son dernier avis budgétaire, a estimé nécessaire de porter à dix-huit le nombre de frégates de premier rang mis en œuvre par la Marine nationale. Et encore s’agit-il d’un minimum, l’idéal étant de vingt-trois navires. « Les erreurs du passé se paient encore aujourd’hui » alors que les menaces sont non seulement plus nombreuses mais aussi plus « intenses », avait-il affirmé.
S’agissant de l’AAE, la LPM 2024-30 prévoit qu’elle ne comptera que 185 avions de combat [137 Rafale et 48 Mirage 2000D Rénovés] en 2035, contre à peine 200 actuellement, en tenant compte des Mirage 2000-5F. Or, pour remplir l’ensemble d ses missions, il lui faudrait un minimum de 225 appareils.
Quoi qu’il en soit, une hausse des formats de la Marine nationale et de l’aviation de chasse n’est désormais plus exclue. En tout cas, c’est ce qu’a laissé entendre Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, à l’antenne de BFMTV, le 13 février.
Après avoir rappelé que son ministère bénéficierait d’un total de 413 milliards d’euros sur la période 2024-30, M. Lecornu a estimé qu’il faudrait revoir le « rythme » de ce réarmement étant donné que l’on « va vers un monde très difficile ».
En effet, reprenant à son compte des propos tenus par le président Macron lors de ses vœux aux Armées, le mois dernier, le ministre s’est demandé « si, au fond, notre réarmement était suffisant ». Et d’ajouter : « Poser la question, c’est commencer à y répondre. Je pense effectivement que nous devons accélérer ».
« Le nombre de nos frégates – quinze – est un peu juste » et « on est sur une trame, pour nos avions de chasse; à plus de 200. Il en manque probablement une trentaine », a ensuite développé M. Lecornu. « Je pense qu’il y a des corrections à apporter. Après, ça impose des choix politiques, parce que, par définition, c’est plus d’argent public. C’est donc aussi faire des choix pour le budget de la Nation », a-t-il conclu. Naval Group et Dassault Aviation doivent-ils s’attendre à recevoir des commandes pour des FDI et Rafale supplémentaires ?
Le problème est que les finances publiques sont loin d’être florissantes. Et faute de faire le nécessaire pour y remédier, la France va au devant de graves difficultés, comme l’a souligné la Cour des comptes, dans un rapport publié le 13 février. « Nous ne pouvons plus nous permettre de reporter nos efforts. Si nous ne le faisons pas de manière volontaire, nous finirons par y être contraints », a résumé Pierre Moscovici, son premier président.
Pour la rue Cambon, ce ne sont pas des recettes fiscales moindres que prévu qui sont la cause du dérapage budgétaire constaté en 2024, comme l’a affirmé le gouvernement… mais la hausse de la dépense publique qui, selon M. Moscovici, « n’est pas tenue ».
« Ce que nous appelons le cœur de la dépense a progressé de 2,7 %. C’est la progression la plus importante des quinze dernières années », a-t-il fait observer. Quant à l’objectif de ramener le déficit à 5,4 % du PIB en 2025, comme le prévoit le budget récemment adopté, rien ne dit qu’il sera tenu. « On est déjà sur le fil du rasoir », a-t-il encore averti.
Cependant, sous la pression de l’administration Trump [il n’est plus question de prendre l’oncle Sam pour l’oncle Sucker », a dit le Pete Hegseth, le nouveau chef du Pentagone, en référence à une expression assimilant le gouvernement américain à une personne exploitée par des gens sans scrupule], les pays à la fois membres de l’Otan et de l’Union européenne vont devoir trouver des marges de manœuvres pour augmenter significativement leurs budgets militaires.
Aussi, l’idée d’exclure les dépenses de défense du déficit public, qui ne doit pas excéder 3 % du PIB selon les règles européennes, est soudainement devenue intéressante… alors que, déjà proposée par la France, elle avait été écarté il y a près de dix ans.
« Au vu des défis sécuritaires, l’interprétation de l’augmentation des investissements en matière de défense devrait être large. Elle devrait inclure non seulement l’achat d’équipements militaires, mais aussi le soutien en capital aux usines d’armement et de munitions afin de renforcer les capacités de défense », indique en effet un document de l’UE et auquel l’agence Reuters a eu accès.
Cette option, si elle est confirmée, donnerait à la France plus de marge de latitude pour financer son « réarmement », sans risquer pour autant d’être sanctionnée pour ses manquements aux règles budgétaires européennes. À condition, évidemment, que les autres dépenses publiques soient « tenues ».
Photo : Frégate de défense et d’intervention [FDI] Amiral Ronarc’h
https://www.opex360.com/2025/02/14/pour-m-lecornu-la-france-manque-de-fregates-de-premier-rang-et-dune-trentaine-davions-de-combat/