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Partager leur savoir-faire du combat « grand froid » et s’approprier davantage la guérilla et le combat en zone urbaine, voilà le triple effort demandé à la 27e brigade d’infanterie de montagne (27e BIM) par le commandant de la force et des opérations terrestres (COM FOT), le général de corps d’armée Bertrand Toujouse.
Un atout en cas d’engagement majeur
Qu’elle soit de montagne ou parachutiste, « que fait-on en haute intensité avec de l’infanterie légère ? ». Beaucoup de choses, répondait le GCA Toujouse lors du Sommet international des troupes de montagne (SITM) organisé en début d’année à Grenoble. Dans un monde changeant et plus difficile à lire, il devient en effet primordial d’anticiper en se posant la question de la plus-value apportée par une brigade à la copie opérationnelle. « Pour moi, la BIM est une force très importante pour la FOT, de par ses qualités intrinsèques, de par sa capacité d’innovation et de par sa capacité à s’engager dans des terrains difficiles, donc des terrains où elle pourra faire la différence », relevait-il.
S’il fallait un jour se déployer en urgence dans le nord de la Norvège ou de la Finlande, « tout le monde pourra y aller à certaines saisons ». La 27e BIM pourra elle y intervenir à tout moment. Démonstration à la clef lors de son déploiement en Roumanie en février 2022 après l’activation de la Very High Readiness Joint Task Force (VJTF) de l’OTAN. Agile, autonome, rustique, la 27e BIM démontrait alors cette réactivité qui fait d’elle une force d’intervention centrale dans la régionalisation des divisions et brigades de l’armée de Terre. Des troupes « dont on connait la flexibilité », habituées à faire évoluer leur mode de combat, facilement déployables quitte à les sortir du « confort » de leur milieu naturel. Bref, un atout à exploiter en cas d’engagement majeur.
« Grand froid, guérilla, zone urbaine me semblent être les trois mots-clefs qui doivent tracer la voie qui vous attend », énumérait le COM FOT. Deux milieux et un mode d’action qui ne pouvaient être confiés qu’à des troupes légères, rustiques, polyvalentes. Le contexte de réorientation vers l’est et le nord de l’Europe aidant, l’enjeu du combat grand froid est désormais à élargi à une FOT davantage habituée, depuis plus d’une décennie, aux chaleurs du Sahel et de l’Irak.
« Aujourd’hui, sortant de 30 ans de crise, il y a un gap énorme dans l’appropriation du monde du froid par l’armée de Terre », observait le GCA Toujouse. Ce qui était moins un problème durant la guerre froide avec un 2e corps d’armée au complet basé en Allemagne le redevient à l’aune des conflits dans le Haut-Karabagh et en Ukraine. Il s’agit désormais de capitaliser sur « un coeur de vraie compétence ‘montagne’ qui, progressivement, a évolué vers le froid » pour propager l’expérience, les bonnes pratiques et autres savoir-faire aux autres unités de la FOT.
S’y remettre sérieusement
« Nous sommes en train de nous y remettre sérieusement », annonçait celui qui est aussi à la tête du Commandement Terre Europe (CTE). Une dynamique initiée, par exemple, par ce mandat « grand froid » confié il y a plusieurs années à des unités de la brigade franco-allemande (BFA) chargées d’explorer ce que serait le combat blindé sous des températures négatives. Puis, le contexte aidant, par des brigades désormais sectorisées à tour de rôle en Roumanie et en Estonie et chapeautées par une division « Europe », en l’occurence la 1ère division jusqu’en 2026. La cible proposée par le COM FOT ? Parvenir au minimum à former les unités sous mandat Europe sur un pas régulier. « Toute unité de l’armée de Terre engagée dans l’Est doit être capable de survivre sans problème jusqu’à -30°, soit les températures rencontrées à l’époque en ex-Yougoslavie », estimait le GCA Toujouse.
Un mandat d’étude est maintenant en cours pour remettre au goût du jour une formation en zone froide adaptée au quotidien de l’armée de Terre et pour massifier la circulation du fond de sac des troupes de montagne vers les formateurs, puis vers les unités des brigades blindées et médianes. La mission demandée à la BIM, ce sera d’augmenter notablement le niveau moyen de connaissance de ces sujets. « Servir d’aiguillon au profit de toute l’armée de Terre, c’est une copie sur laquelle vous êtes attendus », demandait le COM FOT aux Alpins. Une « bonne pratique » dont les volumes supposés, a minima une brigade interarmes pour le seul territoire roumain, amènent à se pencher sur la préparation opérationnelle et les moyens associés.
Les grandes manoeuvres de réassurance jouées en Europe au titre de l’OTAN se multiplient et sont autant de créneaux utiles pour se confronter aux conditions réelles du terrain. « Y faire tourner assez régulièrement nos forces de manière assez importante, je pense que c’est probablement ce que nous allons faire dans les années qui viennent ». Mais si les espaces de manoeuvre de la Baltique et des plaines roumaines permettent déjà d’endurcir les contingents, « nous voyons bien ce besoin de remettre au goût du jour une part d’entraînement froid en France pour préparer les unités et partager les savoir-faire », notait le GCA Toujouse. Mais si l’armée de Terre dispose d’un large panel de centres d’entraînement, aucun n’est en effet nativement orienté « froid » et/ou « grand froid ». Les centres commando autrefois disponibles sont pour la plupart fermés. Reste un Groupement d’aguerrissement montagne de Modane qui ne sert pas qu’à entraîner les unités de la 27e BIM. Un noyau d’expertise auquel viendrait s’accoler un centre d’entraînement orienté « froid » et/ou « grand froid » à définir.
« On a besoin de trouver un endroit adéquat », déclarait un COM FOT dont le regard se tourne notamment vers l’est de la France ou vers les installations de la BFA présentes en territoire allemand. Côté français, le camp de Bitche (Moselle) pourrait être une option, ses 3600 hectares rassemblant des dénivelés, massifs forestiers et autres plans d’eau parfois soumis à des hivers rigoureux. Qu’importe le lieu retenu, « je n’ai pas de doute, pour ma part, que nous avons besoin de recréer dans l’armée de Terre un vrai centre d’aguerrissement, de réappropriation du monde du grand froid. Et pour cela, j’ai besoin de l’expertise de la BIM », résumait le GCA Toujouse.
Guérilla et combat en zone urbaine
« Le niveau moyen de nos bataillons de chasseurs alpins et de nos régiments parachutistes est juste exceptionnel », se félicitait le GCA Toujouse en référence à des unités qui, dans certains pays, relèvent des forces spéciales et « qu’il faut valoriser ». Et par valoriser, comprendre des savoir-faire historiques remis au goût du jour par la question de la haute intensité et partagés avec la 11e brigade parachutiste : la guérilla et le combat en zone urbaine. La première redevient une réalité pour les armées conventionnelles et, plus spécialement, pour des unités d’infanterie légère en partie réorientées depuis deux décennies vers le combat blindé en gestion de crise ou en mission d’interposition.
« Dans une dissuasion qui a échoué, en Ukraine en 2022, l’efficacité incroyable des combats sur les arrières des combattants ukrainiens a quasiment arrêté l’offensive principale des Russes », rappelait le GCA Toujouse. Redevenu une réalité, ce combat de guérilla sur les arrières « est un sujet sur lequel les deux brigades légères sont attendues (…) Je n’ai pas de doute qu’il s’agit d’une vraie réflexion tactique pour la BIM pour les années qui viennent ». Pour les troupes de montagne comme pour les parachutistes, la légèreté, la discrétion et l’agilité rendent possible cette dilution propice au raid dans la profondeur, aux coups de poing menés sur des cibles à haute valeur ajoutée rencontrées derrière une ligne de défense épaisse, statique, quasi linéaire. Bref, à ces modes d’action très flexibles orientés « commandos » qui peuvent « redevenir un b.a.-ba de toutes nos unités légères ».
Cette réappropriation de la guérilla, les deux brigades y travaillent déjà. Depuis 2023, chacune déploie à tour de rôle une compagnie d’infanterie légère (CIL) en Estonie pour contribuer à la formation de l’Estonian Defence League, une milice territoriale chargée de maintenir autant que possible l’intégrité du pays en cas d’invasion. Le 7e bataillon de chasseurs alpins, par exemple, y était envoyé à l’automne 2024 pour la première fois avec ses blindés Serval. L’échange se veut à double sens, les formateurs français en profitant pour compléter leur propre fond de sac. Et la démarche semble fructueuse. « Les premiers retours d’expérience des CIL envoyées en Estonie depuis deux ans sont extrêmement positifs », constatait en effet le GCA Toujouse. De quoi envisager autrement la coopération avec les Finlandais et les Suédois, nouveaux adhérents d’une Alliance atlantique en plein transformation. Cette CIL, ce pourrait justement être « le genre de concept qui leur convient bien ».
L’autre environnement dans lequel les troupes de montagne pourront jouer ce rôle d’ « aiguillon tactique », c’est la zone urbaine. « Pendant la première année de guerre entre l’Ukraine et la Russie, quasiment aucune ville de 100 000 habitants n’est tombée », notait le COM FOT avant d’ajouter que, depuis plus d’un an, des villes tombent – certes après avoir été matraquées par le feu russe -, mais avec des rapports de force de 1 contre 1, là où il faut théoriquement être à 6 ou 7 contre 1. La donne change, et « je vois sans difficulté un bataillon de chasseurs alpins donné à une brigade blindée pour aller faire du combat en zone urbaine ». Cette réappropriation du combat en zone urbaine « dans des logiques commandos, décentralisées, agiles est, à mon avis, un des enjeux majeurs qui attendent la BIM comme la BP ». En peau de phoque, en blindé ou en parachute, peu importe la mise en place : « dans la ville, ils constitueront des unités d’élite extrêmement difficiles à venir challenger et qui elles-mêmes seront parfaitement capables d’aller challenger nos adversaires ».
Dans les villes ou sur les sommets, ce cap fixé par le COM FOT est symbolique de cette volonté de différenciation plus prononcée qu’avant dans l’armée de Terre, à contre-courant de l’homogénéisation constatée en temps de gestion de crise. « Les armées, systématiquement, doivent adapter leur mode d’action à la réalité de l’ennemi et à la réalité du terrain », relevait-il. Brigade de réactivité, la 27e BIM sera cet atout de choix pour opérer dans l’urgence sur une zone de responsabilité européenne redevenue prioritaire au sein d’une Alliance atlantique qui se réorganise, notamment au travers d’un troisième commandement conjoint (JFC) basé à Norfolk. Pleinement opérationnel depuis l’été 2021, c’est lui qui a la charge de « tous les sujets Atlantique et Scandinavie jusqu’à la Finlande ». « Pour la France, il y a des sujets de positionnement dans ces zones là », observe le COM FOT. Nul doute que les Alpins auront plus d’un rôle à y jouer.
Crédits images : EMA / 7e BCA