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Nicole Girard-Mangin ? Une femme médecin mobilisée, par erreur, en 1914 à la suite d’une faute d’orthographe. Pionnière, elle affrontera l’hostilité de ses confrères masculins bien que la médecine militaire ait besoin de spécialistes. « Mais une femme, vous n’y pensez-pas. Infirmière oui mais pas docteur » entendra-t-elle rabâcher par ces acharnés.
Cécile Chabaud fait revivre Nicole Girard-Mangin dans son roman De femme et d’acier (L’Archipel)*. Ses combats depuis l’enfance pour s’imposer, ceux médiocres que lui font affronter ses pairs. Mais cette parisienne conservera, malgré ces chausse-trappes, un engagement d’airain. Ce livre contient une histoire réellement exemplaire et judicieusement racontée par Cécile Chabaud.
Qui est Nicole Girard-Mangin ?
Nicole Mangin naît en 1878 à Paris, à une époque où la femme est encore bridée, passant de la tutelle du père à celle du mari. Elle grandit heureusement dans une famille aimante, qui la soutient et l’encourage. Après de brillantes études au lycée Fénelon à Paris, elle passe le certificat d’études secondaires, équivalent d’alors pour les jeunes filles du baccalauréat, réservé aux garçons. Puis elle choisit la médecine. Mais on lui apprend qu’elle doit être en possession du baccalauréat. Loin de se décourager, en une seule année, elle prépare et réussit le bac, passe une licence de sciences et apprend le latin, matière indispensable à l’étude de l’anatomie. 1896 voit son inscription en faculté de médecine, dans un univers exclusivement masculin… et tout à fait hostile. Elle n’en a que plus de mérite. Et commence à travailler avec acharnement sur le cancer et la tuberculose.
C'est une passionnée ?
Au cours de l’année 1899, Nicole tombe éperdument amoureuse d’André Girard, le fils d’un associé de son père. C’est un élégant jeune homme et un très bon parti. Le coup de foudre est réciproque. André accepte même –chose rare- que sa fiancée continue ses études. Mais, entière et passionnée, elle décide de le seconder dans ses affaires et de ne plus le quitter. Suivent un enfant et quelques années de bonheur trop vite entachées par les infidélités d’André. Nicole n’aura pas la complaisance des femmes bourgeoises de son époque : malgré la désapprobation de la société tout entière, elle divorce.
Son travail est vite remarqué ?
A 31 ans, elle présente sa thèse sur les poisons cancéreux, remarquée par le monde médical parisien. Puis elle travaille activement à la prophylaxie antituberculeuse : à L’Union des Femmes de France, elle dispense des cours d’hygiène et d’assistance sociale. Là, elle fait la connaissance de Marie Diémer, autre grande oubliée comme elle, Marie Diémer pionnière de l’action sociale avec qui elle fonde l’association des Infirmières visiteuses de France.
En 1914, Nicole Girard-Mangin aurait pu ne pas exploiter cette fameuse erreur orthographique ?
Bien sûr. Elle aurait pu rester à Paris et continuer à travailler dans son dispensaire, où elle s’occupait de pauvres gens victimes de la tuberculose. C’était un choix courageux, mais pas si étonnant quand on y réfléchit. Nicole était audacieuse et patriote. On a renvoyé chez elles toutes les femmes médecins alors que la France en avait un besoin impérieux. Cette erreur administrative était providentielle pour elle.
Celle qui est là pour donner des soins se retrouve confrontée à un milieu malveillant ?
Oui. D’abord les médecins-chefs n’acceptent pas de partager leur statut avec une femme. Elle n’aura d’ailleurs pas leur salaire. Les poilus eux-mêmes l’ont d’abord regardée avec méfiance, notamment lorsqu’elle les vaccinait. Elle n’avait même pas d’uniforme puisque ce statut n’existait pas. Elle a dû s’imposer.
Et voudra servir au plus près du front ?
Chaque nouvelle affectation voyait les mêmes réticences. Personne ne voulait d’elle parce qu’elle était femme. Mais elle n’a jamais abandonné.
Justement, quelles seront ses différentes affectations ?
« La reconstitution du parcours militaire de Nicole présente certaines difficultés car le service historique des armées de Vincennes –tout comme le Service des archives de l’hôpital militaire du Val-de-Grâce- ne détiendrait pas officiellement son dossier personnel, du fait, semble-t-il, de sa condition féminine rendant impossible sa mobilisation », explique J.-J. Schneider, biographe de Nicole Mangin.
Cependant, il reste des documents, des coupures de presse, des photos, des lettres, qui permettent de suivre la passionnante épopée de Nicole. J’ai été reçue par sa famille, qui, en plus de me montrer Verdun, m’a donné accès à sa thèse, à sa correspondance, à ses écrits intimes, à ses effets personnels. A partir de toute cette matière, j’ai pu raconter quelle avait été l’histoire de Nicole, durant ses jeunes années, au front et à son retour à Paris. Mon roman suit donc Nicole à Bourbonne, à Glorieux, retrace ce début d’année 1915 où elle devra juguler une épidémie de fièvre typhoïde qui sévit en Argonne. Puis vient la terrible bataille de Verdun, et son regard inédit de femme sur l’enfer des combats, des hôpitaux militaires de fortune, des blessés, des morts, des gazés. Et ce sera Vadelaincourt, Fleury, tout l’univers chaotique et entremêlé de ceux qui s’affrontent et ceux qui tentent de soigner. Au fil des combats, il faut s’adapter. Elle s’occupe des typhiques, puis progressivement de tout le monde, sans distinction, panse, pique, opère.
Unique femme médecin parmi 10 000 hommes, elle est un symbole ?
La réponse est dans la question ! Nicole est une pionnière, un symbole et un exemple.
Nicole Girard-Mangin a été l'amie de Marie Curie ?
Après le bombardement de l’hôpital de Vadelaincourt (Meuse), promue médecin-capitaine, Nicole devient directrice de l’hôpital-école Edith-Cavell, dans le 15ème arrondissement de Paris. Les autorités militaires reconnaissent enfin ses mérites. Elle va désormais officier dans cet établissement, ainsi nommé en mémoire de Miss Cavell, infirmière anglaise fusillée par les Allemands en 1915. Avec elle, une figure connue : la très célèbre Marie Curie, double prix Nobel de physique et de chimie. Ces deux femmes d’exception vont travailler ensemble et former des infirmières, destinées ensuite à partir pour le front. Dans mon roman, je les ai imaginées amies. Je ne pense pas être trop éloignée de la vérité, car j’ai peine à croire que ces deux sommités ne se soient pas rapprochées.
Son retour à la vie civile est compliqué, notamment à cause de cette tumeur décelée à l'oreille ?
En effet, son médecin lui apprend qu’elle est atteinte d’une tumeur. Elle continue néanmoins de travailler.
Et puis cette battante, qui à toutes les étapes de la vie a lutté pour s'imposer, « rend les armes »...
Elle comprend que les épreuves endurées par les femmes ne seront jamais reconnues. Son médecin lui apprend qu’elle souffre d’une tumeur de l’oreille. Désabusée, fatiguée, refusant peut-être de se soumettre à une maladie qu’elle connaît trop bien, elle émancipe son fils et choisit de mettre fin à ses jours.
Alors que le discours public exalte souvent les valeurs de courage, d'engagement dans une société qui se bat pour la parité, Nicole Girard-Mangin coche toutes les cases. Votre ouvrage a permis de connaitre le parcours exceptionnel de cette femme qui a vécu au coeur d'une société corsetée. Mais il faudrait aujourd'hui faire plus...
De Femme et d’Acier a reçu de nombreux prix, dont celui des Femmes de Lettres au Cercle National des Armées en 2024, et le prix du jury du festival Joséphine Baker, en 2025. Fin août, il sort en poche, aux éditions Pocket. L’occasion de faire connaître cette héroïne au plus grand nombre. J’aimerais aussi que ce livre soit au programme des scolaires. Au collège, les élèves de troisièmes étudient la Grande guerre en histoire et les femmes pionnières en Education morale et civique. Et dans la matière que j’enseigne, le français, on nous demande aussi de travailler sur les maux et les mots de la guerre : nous sommes parfaitement dans ces thèmes ! Ce serait un bon début pour faire renaître cette femme si inspirante, qui a soigné nos soldats, et œuvré sans compter pour la science et les malades de son époque. Mais, pour être honnête, je rêve surtout à terme que Nicole Girard-Mangin rejoigne Marie Curie au Panthéon. Ce ne serait que justice et la boucle serait bouclée…
*Paraîtra également le 28 août aux Editions Pocket.