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Pour des élus européens, la dissuasion nucléaire française pourrait profiter à la sécurité de l’UE


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En 2018, le politologue allemand Christian Hacke, spécialiste des relations internationales et ancien professeur à l’Université de la Bundeswehr, jeta un pavé dans la mare en estimant, dans les pages de l’hebdomadaire Welt am Sonntag, que Berlin devait développer son propre arsenal nucléaire, « compte tenu des nouvelles incertitudes transatlantiques et des confrontations potentielles ». En clair, il craignait un possible désengagement américain de l’Otan et donc la fin du « partage nucléaire » auquel la Bundeswehr participe.

Mais cette idée fut rapidement critiquée [et balayée] outre-Rhin, car jugée à la fois irréaliste et irréalisable. Irréaliste car l’Allemagne a ratifié le Traité de non prolifération et qu’elle a pris l’engagement de ne pas s’engager dans cette voie dans le cadre de l’accord dit « Deux plus Quatre » [*], signé en 1990 afin de permettre sa réunification. Irréalisable en raison des investissements à consentir et de l’opposition d’une grande partie de l’opinion publique allemande.

Quoi qu’il en soit, la proposition du professeur Hacke eut le mérite d’ouvrir un débat. Certains, comme Wolfgang Ischinger, alors président de la conférence de Munich sur la sécurité, suggérèrent une possible participation allemande à « l’arsenal nucléaire français, dans le cadre d’une stratégie européenne de dissuasion étendue, sous la bannière d’une ‘Union européenne de défense' ». D’ailleurs, le Bundestag venait de réaliser une étude pour en évaluer les implications juridiques. Puis, ce débat en resta là [en apparence, du moins…].

Cela étant, l’idée que l’arsenal nucléaire français puisse profiter à la sécurité européenne est déjà ancienne. Elle avait été suggérée dans le Livre blanc sur la défense publié en 1972. « Si la dissuasion est réservée à la protection de nos intérêts vitaux, la limite de ceux-ci est nécessairement floue. […] La France vit dans un tissu d’intérêts qui dépasse ses frontières. Elle n’est pas isolée. L’Europe occidentale ne peut donc dans son ensemble manquer de bénéficier, indirectement de la stratégie », y était-il affirmé à l’époque.

Puis, en 1995, Alain Juppé, alors Premier ministre, évoqua la notion de « dissuasion concertée » afin de « garantir la sécurité de l’Allemagne ». Celle-ci fut reprise par le président Chirac, en 2006. « Ma conviction demeure que nous devrons, le moment venu, nous poser, ensemble, la question d’une défense commune, qui tiendrait compte des forces de dissuasion existantes, dans la perspective d’une Europe forte, responsable de sa sécurité », avait-il déclaré, lors d’un discours prononcé à l’Île-Longue.

Mais ce n’est qu’en février 2020 que le président Macron confirma la « dimension européenne » des intérêts vitaux de la France. « Notre indépendance de décision est pleinement compatible avec une solidarité inébranlable à l’égard de nos partenaires européens. Notre engagement pour leur sécurité et leur défense est l’expression naturelle de notre solidarité toujours plus étroite », avait-il expliqué.

Pour autant, il n’était pas question de « mutualiser » la force de frappe, M. Macron avait proposé aux partenaires européens de la France un « dialogue stratégique » sur le « rôle de la dissuasion française dans notre sécurité collective », voire d’être associés aux « exercices des forces stratégiques françaises ».

Cependant, cette proposition fut accueillie avec scepticisme en Europe, notamment en… Allemagne.

« Il faut savoir concrètement de quoi il retourne. Pour l’instant, la seule certitude c’est que les Français ne veulent en aucun cas placer leur arsenal nucléaire sous un commandement européen », fit valoir Annegret Kramp-Karrenbauer, alors ministre allemande de la Défense. Proche de la chancelière Merkel et vice-président, à l’époque, des chrétiens-démocrates au Bundestag, Johann Wadepul fut plus clair. « Macron nous a toujours invités à penser européen. Mais on ne peut pas seulement européaniser ce qui est cher aux Allemands [comme la mise en place d’un budget de la zone euro]. Il faut aussi européaniser ce qui est cher aux Français et c’est le cas de la force de frappe française », lança-t-il.

Depuis, le contexte sécuritaire a été bouleversé par la guerre en Ukraine et les sous-entendus récurrents du chef du Kremlin, Vladimir Poutine, sur l’emploi possible de l’arme nucléaire. Et, à plusieurs reprises, la France a fait savoir que la proposition française de « dialogue stratégique » était toujours sur la table. « Pour nous, une partie de nos intérêts vitaux […] a une dimension européenne, ce qui nous donne une responsabilité particulière, compte tenu précisément de ce dont nous disposons et de notre capacité de dissuasion. Il faut dire les choses clairement », a d’ailleurs répété M. Macron, lors de son récent voyage officiel en Suède.

Outre la menace russe, la perspective d’un retour de Donald Trump à la Maison Blanche a visiblement fait bouger les lignes… En particulier en Pologne, qui a fait savoir, par le passé, qu’elle souhaiterait participer au partage nucléaire de l’Otan [et donc à accueillir des bombes B-61 américaines sur son sol].

Lors d’un déplacement à Berlin, le 12 février, le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a affirmé qu’il « serait très bien de prendre au sérieux toutes les idées et tous les projets [en matière de dissuasion nucléaire] qui renforceraient notre sécurité » afin de répondre aux menaces posées par la Russie dans ce domaine. Et d’ajouter, selon la presse polonaise, qu’il prenait « au sérieux » la proposition du président Macron selon laquelle « la France serait prête mettre ses capacités et son potentiel nucléaires à la disposition de l’Europe afin qu’ils fassent partie d’un plan de sécurité paneuropéen ».

En tout cas, la proposition de M. Macron a fini par trouver un écho en Allemagne. Cheffe de file du Parti social-démocrate [SPD] pour les élections européennes de juin prochain et actuellement vice-présidente du Parlement européen, Katarina Barley a estimé que la nécessité pour l’UE de disposer de capacités nucléaires « pourrait devenir un enjeu » dans la « perspective d’une défense européenne ». Et d’ajouter : « Actuellement, la politique de dissuasion nucléaire en Europe est entre les mains de l’OTAN, ce qui signifie que l’UE dépend de la protection de l’arsenal nucléaire américain ». Protection « sur laquelle on ne peut plus compter au vu des dernières déclarations de Donald Trump ».

Président du groupe PPE au Parlement européen, Manfred Weber, du Parti chrétien-démocrate [CDU/CSU] est sur la même ligne. « La plus grande promesse de l’Europe est de vivre ensemble en paix. […] Nous devons renouveler cette promesse en ces temps historiques. Plus précisément, l’Europe doit devenir si forte militairement que personne ne veuille rivaliser avec nous. Cela signifie que nous avons besoin de dissuasion. La dissuasion inclut les armes nucléaires », a-t-il confié au quotidien Bild.

In der @faznet habe ich Elemente eines sicherheitspolitischen Aufbruchs in Europa beschrieben. Auch dem Thema nukleare Abschreckung dürfen wir dabei nicht ausweichen. CLhttps://t.co/uapAEzr5eV

— Christian Lindner (@c_lindner) February 13, 2024

 

De telles déclarations ont provoqué des réactions diverses. Le président [écologiste] du comité des Affaires européennes au Bundestag, n’a pas caché son scepticisme au sujet d’un éventuel arsenal nucléaire européen. « À quoi devrait ressembler sa structure de commandement et qui déciderait de sa mise en oeuvre ? », a-t-il justement demandé. Pour son homologue du comité de la Défense, Marie-Agnès Strack-Zimmermann [parti libéral-démocrate], ce débat est « inopportun ». En revanche, membre de la même formation politique et ministre du budget, Christian Lindner s’est prononcé en faveur d’une coopération accrue avec la France [mais aussi avec le Royaume-Uni] en matière de dissuasion nucléaire.

Reste que, contrairement à l’Otan, l’Union européenne n’a pas été conçue comme une alliance militaire… mais comme une « alliance avec un projet de défense ». Ce qui n’est pas exactement la même chose…

[*] République fédérale d’Allemagne + République démocratique allemande / États-Unis, France, Royaume-Uni, Union soviétique

Ya Rab Yeshua.

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