ROYCO Posté(e) 17 mai 2012 Signaler Posté(e) 17 mai 2012 (modifié) ........... C'est donc un matin que le groupe d’une douzaine d’hommes environ, prit la direction de l'arsenal de Toulon où nous avions rendez-vous quai de l'Epi avec un escorteur côtier ayant pour nom « L'Effronté ». Ce n'était ni un cuirassé, ni même un escorteur d'escadre, tout juste un bâtiment d'une soixantaine de mètres de long, avec un équipage d’environ soixante hommes, commandant compris et qui devait nous emmener jusqu’en Corse où des camions nous récupéreraient pour nous conduire en plein centre de l’île chez les légionnaires. Comparé aux autres bateaux des alentours, il faisait penser à une périssoire et loger soixante hommes à son bord me paraissaient déjà un exploit. Sous les ordres de l'enseigne de vaisseau G... et des chefs de groupe, les seconds maîtres Max B… alias « le sanglier des Ardennes » et B... dit « la brèche », nous avons embarqué à bord avec notre barda habituel. Les passagers temporaires que nous étions représentaient un certain excédent par rapport à l'équipage normal et malgré la meilleure bonne volonté mise en œuvre pour notre confort, nous étions logés dans une certaine promiscuité. C'était toutefois plus confortable que notre tente en deux morceaux et de toute manière, nous ne partions pas pour une véritable croisière car l'île ne se trouvait pas trop loin et serait ralliée en quelques heures à peine. Je me souviens particulièrement de cette traversée et d'autres camarades rencontrés des années plus tard en gardaient toujours un mauvais souvenir. Le vent était à l'est ce jour-là et assez fort. Dans ma région, lorsqu’il souffle de ce côté, il donne naissance à une forte houle et comme nous allions vers la Corse, nous aurions donc des vagues de face et certainement pas des petites. Avec notre bâtiment base habituel, en l'occurrence le porte-avions Arromanches, un tel temps ne nous aurait presque pas fait rouler ou tanguer, mais l'escorteur côtier n'était pas une unité comparable et j'étais certain qu'il se comporterait comme un bouchon de liège dans un tambour de machine à laver en marche. En prévision de ce surplus de personnel à bord, le cuistot avait préparé à l'avance le repas du midi, je m'en souviens encore, le plat de barbaque était du poulet rôti que nous mangerions froid et quelle bonne idée il avait eu là. L'Effronté...Ce nom allait très bien au navire car il fallait bien l'être, effronté, pour prendre la mer avec de telles conditions météorologiques, mais le pacha devait bien connaître son affaire, du moins je l'espérais. Alors que nous traversions la petite rade avant « d'attaquer » la pleine mer, je remarquai de gros embruns qui passaient au dessus de la grande jetée et pour moi qui connaissais bien le coin, ce n'était pas bon signe. Le bosco du bord, habituellement désigné aux manœuvres, était un Breton, ancien marin pécheur, fils, voire petit-fils de Cap Hornier et pour lui une mer comme ça était un véritable lac. Ces hommes de mer « lisaient » le temps et connaissaient les conditions maritimes d'un simple coup d'œil, pas besoin de baromètre ou de prévisions météo; de toute manière à cette époque, les prévisions devaient probablement se faire en fonction du comportement d'une grenouille sur une petite échelle à l'intérieur d'un bocal, grenouille en bas le temps est plat, grenouille en haut annonce l'eau. Notre bosco avait une autre méthode basée sur ses propres observations, « mauvais temps, les goélands se grattent le gland, s’ils se grattent le cul, il ne fera pas beau non plus ». En observant les oiseaux posés sur coffres ou sur les pierres de la jetée, il me semblait qu'ils se grattaient dans tous les sens, mais même sans observer les gabians (appellation du goéland en Provence), il ne faisait aucun doute que la traversée serait mouvementée! Les portes étanches d'accès à l'extérieur furent condamnées, les sorties sur le pont formellement interdites, pas question de perdre un gars en route, de toute manière qui aurait été assez fou pour aller respirer quelques bouffées iodées dans une mer déchaînée ? Il n'y avait donc que la coursive centrale qui permettait de se déplacer dans toute la longueur du bord, mais déjà étroite par construction, elle était en plus encombrée par notre matériel ainsi que quelques gars qui n'avaient pas trouvé un recoin pour s'installer. Même sans voir la côte, je compris que nous avions franchi la grande passe car il fallait que je m'assure de la main sur les cloisons pour avancer sans tomber. Le bateau se soulevait de l'avant, retombait brutalement, se redressait, roulait sur les bords et le matériel mal arrimé commençait à tomber au sol. Nous n'étions pas encore en pleine mer que déjà certains vomissaient leur café du matin et dans ces conditions, un seul remède, manger un morceau, quitte à le dégueuler quelques minutes plus tard. Le problème du mal de mer est quelque chose d'assez bizarre, car contrairement à ce que l’on pourrait penser, il est provoqué généralement par l’affection de l’organe régulateur de l’équilibre situé dans l’oreille interne. Ce sont les mouvements prolongés et saccadés du roulis ou du tangage qui, mêlés à la perception de la ligne d’horizon en mouvement, provoquent ce phénomène. Certains ne l'ont jamais, d'autres le ressentent à chaque sortie, mais il s’agit parfois de simples phénomènes psychologiques. Lorsque bien des années plus tard, j'eus en charge l'embarquement de personnels, je faisais passer un test afin de m'assurer que le prétendant à la navigation était bien « amariné » c'est-à-dire apte à naviguer. Lorsque la mer était un peu houleuse, j'organisais un casse-croûte à bord, à base de sardines à l'huile, de hareng fumé et d’une orange comme dessert, le tout arrosé d'un verre de vin, en fait tout ce qu’il fallait pour donner envie de vomir même à un vrai corsaire. Celui qui ne vomissait pas ses boyaux au bout de cinq minutes pouvait être considéré comme ne craignant pas la mer, mais ce n'était pas une science exacte car d'autres facteurs entraient en jeu dans cette « expérience » comme le stress, la cuite de la veille, ou la fatigue. Dans le cas présent, il n'était nul besoin de faire l'essai du repas « spécial » car nous étions enfermés dans la boite à sardines, enfumés par les clopes des uns et l'odeur de vomi des autres...Comme nous étions nombreux à bord, le repas fut ordonné en deux services et nous serions dans le deuxième, celui de midi, ceux ayant occupé les tables à 11 heures assureraient le service le temps que la deuxième palanquée reprenne des forces. Lorsque l'ordre d'aller planter la fourchette nous fut donné, nous nous sommes rendus aux emplacements qui nous avaient été désignés et il n'y avait pas grand monde. Dans un grand plat nous attendaient les poulets rôtis, au moins un chacun, signe que nombreux avaient décliné l'invitation de se restaurer car trop malades. La touque de rouge, ou plus précisément la gamelle en aluminium qui contenait au moins cinq litres de picrate était pendue à une tuyauterie au dessus de la table car c'était le seul moyen de l'avoir à portée sans qu'elle se renverse. Comme à Hourtin, sur le Chateaurenault ou ailleurs, nous nous levions et plongions notre quart en métal directement dans le liquide, afin de s'en servir une bonne rasade. Pendant que nous dévorions les volailles d’une main, l’autre tenait l’assiette et la boisson, c’était le seul moyen pour que le poulet ne se retrouve pas au sol comme s’il avait voulu prendre un dernier envol au départ de la table. Des camarades pas très loin de nous fumaient, plusieurs vomissaient, certains avaient le visage jaune, d'autres vert, ce qui était le signe d'une gerbe prochaine. Pendant cette traversée, j'avais l'impression de me trouver dans un véhicule qui faisait des tonneaux, le bateau roulait bord sur bord, il était parfois tellement penché que j'avais l'impression de marcher sur les cloisons verticales qui devenaient du fait de la gîte de vrais planchers inclinés. Dans l'après-midi, protégée par les rivages corses, la mer se calma et L'Effronté accosta contre un quai du port d'Ajaccio. Des véhicules militaires nous attendaient, au volant des légionnaires en treillis avec un béret vert sur la tête, d'un vert différent du notre, plus vif et avec un insigne sur le coté droit, alors que nous, nous le portions à gauche. Un petit au revoir ou plutôt adieu à notre escorteur, espérant que ce ne soit pas lui qui revienne nous chercher avec les mêmes conditions météo au retour et après avoir embarqué dans les bahuts avec notre matériel, nous avons pris la direction de la petite ville de Corté, nichée au cœur de l'île. Le voyage semblait interminable et il ne devait pas y avoir une seule portion de route droite, car nous étions sans cesse ballottés comme sur le navire, peut-être en fait était-ce notre esprit qui naviguait encore... La nuit était déjà tombée lorsque nous sommes arrivés à ......... Modifié 17 mai 2012 par ROYCO Citer Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait (Mark Twain) Celui qui abandonne une fois abandonnera toute sa vie (devise stage commando)
Lion Posté(e) 18 mai 2012 Signaler Posté(e) 18 mai 2012 Un bonheur stylé du début à la fin. En parlant de style, j'ai d'ailleurs particulièrement apprécié la technique : « mauvais temps, les goélands se grattent le gland, s’ils se grattent le cul, il ne fera pas beau non plus » ;) Citer Bienvenue sur le Forum militaire Aumilitaire.com ! "La nature nous a donné une langue et deux oreilles, afin que nous écoutions le double de ce que nous disons." ZENON de Cittium, Lettres à Lucilius
ROYCO Posté(e) 18 mai 2012 Auteur Signaler Posté(e) 18 mai 2012 Un bonheur stylé du début à la fin. En parlant de style, j'ai d'ailleurs particulièrement apprécié la technique : « mauvais temps, les goélands se grattent le gland, s’ils se grattent le cul, il ne fera pas beau non plus » C'est vrai que pour les marins, les oiseaux ont souvent été source d'inspiration et en règle générale la maxime en a été confirmée.... Par exemple : Quand les mouettes ont pied il est temps de virer...... (de bord):shout: 1 Citer Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait (Mark Twain) Celui qui abandonne une fois abandonnera toute sa vie (devise stage commando)
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