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2025, année du signalement stratégique pour l’armée de Terre


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L’armée de Terre projettera une brigade complète sur le flanc est de l’Europe au printemps 2025. Inscrite dans l’exercice otanien Dacian Spring 2025, la manoeuvre sera l’un des nombreux signaux stratégiques envoyés au cours des neuf prochains mois par la France en direction de ses éventuels adversaires. 

Déployer une brigade « bonne de guerre »
 

Plusieurs milliers de combattants, une cinquantaine de chars Leclerc, des centaines de véhicules d’infanterie, des dizaines de canons CAESAR, etc. : une brigade de combat sera déployée en l’espace de 10 jours sur le sol roumain en avril prochain.

Hors norme, ce tour de force reposera sur la 7e brigade blindée, unité de décision axée vers le flanc sud-est de l’Europe en alternance avec la 2e brigade blindée. La brigade du centaure mobilisera l’ensemble de ses moyens pour renforcer le bataillon de la mission Aigle mais pas seulement, car le commandement étudie l’envoi simultané d’un sous-groupement aéromobile de l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT). Conduite par le Commandement Terre Europe (CTE), l’opération sera également interalliée, un bataillon belge étant appelé à s’adosser au socle français. 

 

L’effort français n’est en rien dû aux hasards de la programmation. « Cette année sera l’année du signalement stratégique », déclarait le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Pierre Schill, vendredi dernier à Lille lors d’une conférence de presse de rentrée.

L’occasion pour ce dernier de décliner ses intentions pour les mois et années à venir. « Il y a danger, il y a urgence. Il y a danger parce que les menaces de la force sont là », notait-il depuis le poste de commandement du CTE enterré sous le quartier Kléber, en écho à l’arc de crises auquel est confrontée l’Europe sur ses frontières orientales et méridionales. « L’armée de Terre marche au son du canon » et « le canon gronde de l’autre côté du Dniepr », soulignait à son tour le général Betrand Toujouse, à la tête du commandement des forces et des opérations terrestres (CFOT) et du CTE. 

« La réalité de notre situation, c’est que, malheureusement, l’hypothèse d’un engagement important de nos forces est une hypothèse qui est redevenue crédible », poursuit un CEMAT dont l’un des trois objectifs consiste à disposer d’ « une armée de Terre stratégique qui agisse ce soir et demain » pour rester un « pourvoyeur de sécurité pour nos alliés, principalement en Europe par la solidarité stratégique ». Le message, tant à destination des alliés que de leurs compétiteurs, est clair : demain, la France sera capable de projeter en urgence l’entièreté d’une brigade « bonne de guerre aux meilleurs standards ». 
 

Complexe, volatil et contesté, l’environnement sécuritaire impose en effet de développer l’art de la dissuasion, ce que l’armée de Terre concrétisera en multipliant les signalements stratégiques d’ici à l’été 2025. Autant d’avertissements qui serviront à démontrer la préparation, la crédibilité, la volonté interarmées et interalliés, les capacités de réassurance et d’interopérabilité de l’armée de Terre et in fine à « garantir que tout ce que l’on va faire va fondamentalement dissuader les Russes d’aller au-delà et, dans un monde idéal, que cela les amène à reculer en Ukraine », pointait le commandant du CFOT. 

Un défi logistique
 

Les armées françaises n’ayant pas à démontrer leur combativité, les principaux défis de Dacian Spring relèvent du commandement et de la logistique.

La robustesse des chaînes de commandement (C2) demeure fondamentale pour manoeuvrer au travers du mille-feuille otanien, et l’interopérabilité est donc un chantier permanent. Exemple parmi d’autres avec l’intégration depuis cet été d’un général américain au sein du CTE, porte d’entrée vers le réseau complexe de la présence américaine en Europe. Ce sont aussi des solutions techniques pour s’interfacer entre alliés et partenaires locaux. Pour cela, la France a notamment développé un système de commandement spécifique au flanc est. Baptisé « Hydre », cet outil installé dans un véhicule léger mise sur l’hybridation des communications pour garantir la redondance et l’élongation des réseaux tant en phonie qu’en données.

Pourquoi projeter une brigade en 10 jours ?
Parce que face aux signaux et au spectre du fait accompli, « la réactivité est clef », assure le général Toujouse. L’enjeu est de taille lorsque l’on s’attarde sur son volet matériel. De la Baltique à la mer Noire, « le premier défi du CTE, c’est celui de la logistique », relève en effet le général Pierre-Eric Guillot, commandant du PC Terre Europe et adjoint du CFOT pour les opérations terrestres en Europe. En février 2022, l’envoi d’un bataillon d’alerte en Roumanie avait exigé 20 rotations par avion An-124, trois rotations d’A330 MRTT et trois rotations de KC-130. Quelque 500 militaires avaient alors été déployés en sept jours. Avec un contingent a minima décuplé pour un délai à peine allongé, Dacian Spring annonce une mise sous tension inédite des moyens existants. Des centaines de véhicules blindés, plusieurs milliers de combattants et leurs équipements, stocks de munitions, de vivres et de pièces détachées et autres matériels de soutien devront cette fois être envoyés à l’autre bout du continent au coup de sifflet. Soit, environ 9000 mètres linéaires de flux logistiques et 1500 containers.
 

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Heureusement, la problématique du transport est anticipée de longue date.

Côté français, l’expérience de l’hiver 2022 a servi de déclic pour repenser la mobilité militaire et retrouver certains réflexes. Exit la concentration sur le seul réseau ferroviaire, le transport militaire devient multimodal. Avions, trains, routes, voies ferrées et maritimes, aucune option n’est écartée par des logisticiens désormais en mesure d’assurer le soutien et la relève de 2500 combattants tous les quatre mois, de 500 véhicules majeurs tous les 12 mois. Une année de présence renforcée sur le flanc oriental, ce sont au final 46 rotations par voie aérienne, 35 trains et 25 convois routiers. Le tout, sans réelle anicroche. La France n’est pas en guerre et le temps de paix, bien que relatif, autorise à anticiper les délais administratifs et les obstacles douaniers subsistants. Un confort dont les commandants ne sont pas dupes, l’objectif restant bien d’aboutir au plus vite à ce « Schengen militaire » pour lequel l’Europe aura investi près de 1,8 Md€ sur la période 2021-2023. 

Entre les débats européens et ceux menés depuis un moment dans l’OTAN, « les choses s’améliorent progressivement », se félicite le général Toujouse. Ne subsistent essentiellement que quelques verrous à faire sauter en matières de normes et d’administration douanière. Ce sont des bloquages douaniers comme ce tampon mal placé sur un document qui aura forcé le débarquement d’un char Leclerc d’un convoi ferroviaire. Ce sont aussi de petits sujets d’infrastructures civiles inadaptées, comme ce pont roumain qui imposait un détour de deux heures aux convois de blindés français. Là encore, le dialogue interalliés est central. Entre autres initiatives, un cercle s’est ainsi créé pour traiter des corridors de renfort du nord de l’Europe, cercle réunissant les Pays-Bas, l’Allemagne et la Pologne. D’autres travaux portent sur un corridor établi au travers de la Grèce, de la Bulgarie et de la Roumanie. L’un et l’autre « sont très intéressants pour nous », pointe le général Toujouse. En l’attente de nouvelles avancées, la patience et le respect de l’état de droit continueront de construire la base de confiance qui favorisera la solidarité entre alliés et le bon sens lorsque l’urgence imposera de passer en force, observe le COM FOT. 
 
Pikne, Diodore, Hedgehog, Warfighter et au-delà
Dacian Spring 25 ne sera pas le seul rendez-vous majeur pour le CTE, cet état-major déclaré pleinement opérationnel dans le courant de l’été et opérant à la croisée des chemins entre l’échelon stratégique et le terrain. Au moins quatre autres exercices de signalement stratégique sont programmés au cours des neuf prochains mois de l’Estonie aux États-Unis en passant par le territoire national.
 

Le premier signal sera envoyé dès la fin de cette année au travers du méta-exercice Pikne. Interarmes, interarmées et interalliés, il se manifestera, d’une part, par le largage d’un groupement tactique interarmes de 600 à 700 parachutistes français à proximité la frontière russo-estonienne. Et d’autre part, par la mise en oeuvre d’une chaîne d’appui-feu avec des tirs notamment réalisés en Finlande lors de Dynamic Front, d’un appui air-sol au profit du bataillon français et d’interactions avec une frégate de la Marine nationale présente en mer Baltique dans le cadre de l’exercice Freezing Winds. Opération multi-milieux, multi-champs (M2MC), Pikne sera piloté par le CTE en coordination avec le commandant en chef pour l’Atlantique (CECLANT) et le Centre Air de planification et de conduites des opérations (CAPCO) de Lyon-Mont Verdun. 

 

Second signal d’importance, l’exercice Diodore 2025 démarrera en mars prochain. Il fera « la démonstration de concept de ce ‘business angel’ qu’est le Commandement des appuis dans la profondeur et du renseignement qui doit nous faire monter en gamme dans ce combat du ‘deep’, de la profondeur en alliant les capacités d’acquisition, de renseignement et d’action », annonce le général Toujouse. Un CAPR qui, en parallèle, fournira des moyens au profit de l’exercice Dacian Spring. Simultanément à ce dernier, l’armée de Terre enverra un bataillon en Estonie dans le cadre de l’exercice Hedgehog. De quoi renforcer provisoirement le sous-groupement tactique interarmes de la mission Lynx tout en contribuant à éprouver davantage les axes de déploiement européens. Enfin, l’armée de Terre renouera en juin avec l’exercice bisannuel Warfighter. Sous pilotage américain, cet entraînement transatlantique consistera à démontrer « l’interopérabilité d’une de nos divisions, la 1ère division, avec un corps d’armée américain à partir du territoire national ».

 

Derrière ce premier semestre « musclé », l’armée de Terre écrit d’ores et déjà la suite. L’année qui suivra devrait être tout aussi dense. À l’été 2026, la France prendra ainsi pour la première fois la prise d’alerte de la composante terrestre de l’ « Allied Reaction Force » (ARF) de l’OTAN tout en matérialisant la seconde édition de l’exercice ORION. Héritière « musclée » de la NATO Response Force, l’ARF est l’un des fruits du sommet de Vilnius 2023 et de la génération d’un nouveau modèle de forces par les pays de l’Alliance. « Nous sommes chargés de mettre sur pied un des deux corps de réponse stratégique [Strategic Response Corps] de l’OTAN », indique le CEMAT. Un SRC généré en alternance avec le Royaume-Uni et pour laquelle le corps de réaction rapide – France de Lille (CRR-Fr) a été certifié cet été. Et un nouvel objet qu’ORION 2026 cherchera à mettre à l’épreuve. 

 

D’exercice en exercice, l’armée de Terre progresse pas à pas vers son prochain jalon décisif, celui d’une division de combat projetable en 30 jours courant 2027. Un étape qui ouvre la voie à la mise sur pied d’une « composante terrestre » à l’horizon 2030 dont les contours seront définis en temps utile. En attendant, la focale restera centrée sur les marches de l’Europe et sur l’épreuve que représente Dacian Spring. L’ambition est élevée et les inconnues nombreuses, mais « je n’ai pas de doute que ce sera probablement nous qui ferons la démonstration la plus aboutie de cette réactivité de niveau brigade », prédit le général Toujouse. 

 

Crédits images : armée de Terre & EMA COM

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Ya Rab Yeshua.

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