Pour l'Artilleur .......
Afin que tu saches comment ça se passait au cdo Montfort en 1966 et donc à quelle école ceux de ma génération ont été formés, je te joins un petit passage de mon bouquin qui a légèrement été remixé pour une harmonie grammaticale ..... ( pour la suite c'est à dire les 450 autres pages, tu achètes le livre et tu verras si on se serait simplement permis de frapper ou insulter un supérieur....)
......... Tout le monde semblait dormir sur ce coin de terre et moi j’étais là, seul, à surveiller que l’on ne vienne pas nous subtiliser le parcours jungle, le portail du fort, ou les cuvettes des chiottes, mais là pas de problème car elles se trouvaient directement face au bureau. Un petit air frisquet m’encouragea à retourner dans la cage, mais comme nous n’avions même pas le droit à une petite radio pour faire passer le temps, les minutes commencèrent à devenir un peu longues. C’est dans ces instants que le Dieu des songes et de la nuit fait en général son apparition, car c’est bien connu, Morphée arrive toujours entre minuit et deux, surtout lorsqu’on est de garde et fatigué. Je me rendis compte de sa présence et essayai de le repousser, mais il insista, je résistai mais peu à peu son emprise se fit plus forte, « Roycoooooo….…Rooyyyccccoooo, dodo, dodo » Ulysse s’était bien laissé avoir lui aussi avec le chant des sirènes, alors pourquoi pas moi, surtout que j’étais crevé, j’avais mal aux guitares et qui allait venir à une heure pareille dans ce trou perdu?
Je me suis assis sur la chaise en bois pas très confortable du reste, les coudes posés sur le bureau, la tête entre les mains dans un dernier geste de résistance pour la maintenir droite, et je me suis laissé aller dans un petit sieston initialement prévu pour quelques minutes, histoire de relancer la machine. Mon camarade qui devait venir me remplacer pour le 2 à 4 est resté lui aussi dans ses songes car je ne suis pas allé le réveiller, je dormais trop bien et d’un sommeil si profond que je n’entendis pas le maître T… qui rentrait à la base dans la dernière partie de la nuit. En fait, je m’étais endormi pour la quasi-totalité de ma garde, celle qui suivait et même le 4 à 6 voire plus si le « déménageur » ne s’était pas manifesté…
Dans mon esprit merveilleusement paisible, j’étais entouré de nymphes tout aussi désirables les unes que les autres, lorsque soudain, je me suis senti projeté dans les airs, cette élévation intemporelle s’accompagnant simultanément d’une grosse douleur dans la mâchoire. Suite à cette envolée de quelques dixièmes de seconde, je retombai lourdement sur le carrelage de l’aubette la tronche la première, ce qui me permit de constater que le carreleur avait fait du bon boulot au niveau des joints, chose dont je ne m’étais pas du tout préoccupé auparavant.
Le temps de me remettre debout et comprendre ce qui m’arrivait, je fus assailli de coups de poings, de pieds, droite, gauche, coup de boule, ça pleuvait sec et pourtant le temps ne m’avait pas paru être à l’orage, mais il faut croire que les nuages s’étaient amoncelés juste au-dessus de cette petite pièce. C’était une vraie « rouste » conclue par un crochet au foie comme un coup de grâce et entre les pognes de mon assaillant j’étais comme une marionnette désarticulée dont il semblait jouer avec un certain plaisir. Pour un réveil en fanfare, ce n’était pas du tout l’air que j’aurais aimé entendre, mais il devait être mélomane à sa façon.
Après un laps de temps qui me paru très long, le gladiateur de service abandonna sa proie et j’en profitai pour me relever, ce que je fis prestement puisque cette séance m’avait tout à fait réveillé. Ce gradé qui s’entraînait avec l’équipe du pentathlon du GROUCO était rentré cette nuit là un peu plus tôt que la normale pour aller faire ses huit kilomètres quotidiens de footing avant l’appel. Une aubaine pour lui, il avait trouvé en ma personne le punching-ball qui remplacerait la course à pied et lui permettrait de faire travailler ses bras. Je ne ramenai pas trop ma science car je ne voulais pas me retrouver en plus sur le cahier de punitions, ce que j’aurais largement mérité. Toutefois, afin d’apaiser son envie de me donner une deuxième séance, je lui fis remarquer dans des termes choisis, que je n’appréciais pas ce réveil en fanfare et que dès l’appel j’irais me plaindre à l’adjudant. Il me montra ses dents comme le ferait un chien à qui l’on voudrait voler son os, ses yeux étaient ceux d’un prédateur hésitant entre deux proies différentes, mais il me laissa sur mes interrogations et quitta l’arène. J’avais mal sur tout le corps, je saignais un peu du pif mais n’avais apparemment rien de cassé, ma seule erreur fut d’avoir oublié l’espace d’un instant que je me trouvais dans un groupe d’hommes virils et question virilité ils en tenaient une sacré couche dans le coin.
Après l’appel, je me dirigeai vers le bureau du shérif, en me demandant si cette démarche n’était pas un peu risquée, mais je ne pouvais pas me dégonfler et j’allai donc taper à la porte de l’adjudant. Les anciens d’Indochine et d’Afrique du nord le connaissaient, les autres avaient entendu son nom et ses aventures étaient souvent contées le soir devant les feux de camp, mais j’ai pensé que ce n’était peut-être pas un monstre et qu’il saurait se souvenir de l’époque où il était lui aussi jeune commando avec quelques conneries à la clé. Comme je l’ai indiqué précédemment, il avait un visage carré comme une boite à chaussures, des sourcils épais à la Groucho Marx (mais il n’en avait pas l’humour), un menton légèrement en avant et qui semblait aussi dur que du béton, le genre de gars qui ne rigolait que lorsqu’il gagnait au tiercé, mais qui ne jouait jamais. Il avait aussi des mains comme des battoirs à tabasser les draps sur les coins de lavoirs et toujours son éternelle pipe vissée entre les dents, sa pipe, le seul artifice qui le rendait humain. En parcourant les quelques mètres qui me séparaient de son repaire, je me suis demandé une fois encore si je ne faisais pas une connerie, mais j’étais sur ma lancée et autant aller jusqu’au bout. Je frappe, une voix sèche et autoritaire m’ordonne d’entrer et au ton utilisé, je comprends qu’il ne m’attend pas pour m’offrir l’apéro. J’ouvre et le vois assis derrière un bureau au fond de la pièce, je m’approche à deux pas de son burlingue, salut réglementaire et reste immobile dans un garde à vous impeccable. « Que veux-tu ? », je lui raconte en détail ma mésaventure de la nuit et surtout l’agression sauvage et sans préavis dont j’avais été victime. Je n’avais pas terminé mon récit qu’il se jette sur moi comme une panthère sur une antilope, je n’aurais jamais pensé qu’il soit aussi rapide et leste qu’un félin à son âge. Coup de boule, crochet au foie, gifles à droite, à gauche, je ne pouvais que me protéger ou esquiver et il eut été même suicidaire de vouloir riposter car avec seulement huit ou dix heures de sport de combat depuis mon entrée dans la spécialité, ce n’était même pas la peine d’essayer. Au fur et à mesure que les coups tombaient je me disais, « pourvu qu’il ne se fasse pas mal tout seul en glissant sur le carrelage et pense que c’est moi qui l’ai poussé ! » parce que là, je ne sais pas à quelle sauce il m’aurait mangé ! Je me fais tellement petit pour éviter d’en prendre davantage plein la gueule que j’arrive à me faufiler entre deux caissons métalliques où ma corpulence ne me permettait pas de prendre place en temps normal. Pas de problème pour lui, il m’attrape par le col du treillis et me sort de mon logement aussi facilement qu’une vieille serpillère d’un seau pour un dernier coup de haut en bas sur le crâne. Je dois dire que je n’avais pas fait le voyage en quête de quelques miettes, je venais de charger la musette et ce n’était pas pour exercice ! Après être passé à l’attendrisseur « modèle adjudant Montfort 1966 », j’affirme qu’il avait des mains aussi grosses que des raquettes et la rapidité d’un pongiste, cette dextérité lui venant de son passé au sein des fusiliers marins commandos qui lui avait certainement permis de se faire la main et d’en corriger de plus féroces que moi.
Cette « branlée » était méritée puisque j’avais fait deux erreurs, la première étant de m’endormir alors que j’étais de garde, la seconde d’aller me plaindre, mais comme je ne tenais pas à entamer avec lui un débat philosophique sur les conventions de Genève, je m’abstins de tous commentaires.
Depuis le matin mes yeux étaient soumis à rude épreuve et devaient ressembler à ceux d’un caméléon surveillant une sauterelle, mais j’arrivais à les entrouvrir pour le voir regagner son bureau, sortir une blague à tabac et bourrer sa pipe qui, à bien y regarder, avait le fourneau en forme de tête de pirate ou crâne de mort. Je me relève péniblement, rectifie la tenue, aspire le nouveau filet de sang qui me coule cette fois le long de la lèvre et me pointe devant son bureau mais à une distance plus conséquente qui l’obligerait à prendre de l’élan pour me tomber sur le râble et là je le verrai venir. Il me dit : « si tu veux te plaindre maintenant, tu vas à coté dans le bureau de l’officier en second M… » (un ancien lui aussi des épopées furieuses aux pays des rizières et des oueds). « Non, c’est bon, tout baigne dans l’huile » ! Il tire quelques bouffées sur sa pipe, j’attends quelques instants, il ne dit rien, il me jauge, il mastique l’embout de sa bouffarde comme un camé le ferait de sa pipe d’opium, je suis dans un sale état. Deux raclées en moins de six heures, avec assez de sang à la clé pour faire un petit boudin antillais, cela n’arrive pas tous les jours et rien qu’à l’idée d’aller dans le bureau d’à coté pour une troisième couche, je préfère hisser le drapeau blanc. Puis, d’un coup, comme si rien ne s’était passé et que je venais de rentrer, il me dit :
- Tu es là pour quoi, tu veux quelque chose ?
- Non Adjudant rien !
- « Alors va t’en », ce que je fis rapidement. Pour le reste de la journée et les mois qui ont suivi, ni lui, ni l’excité de la nuit n’ont fait allusion à cette séance, je n’avais pas été inscrit sur le cahier de punitions alors que je le méritais, j’avais eu directement et d’un seul bloc le procès, la sentence, la condamnation et c’était terminé, je n’ai pas osé interjeter appel. Quelques années plus tard, alors que j’étais instructeur militaire ................