BTX Posté(e) 13 septembre Signaler Posté(e) 13 septembre Du Capitaine (er) Jean-Marie DIEUZE Un paradoxe bien français. La France n’a pas déserté ses armées. Loin de là. Le ministère des Armées reste l’un des premiers recruteurs du pays et annonce, année après année, des milliers de postes ouverts et pourvus — preuve qu’un vivier existe, que des jeunes frappent à la porte, attirés par un emploi stable, une formation solide, un cadre et une identité. Mais ce dynamisme apparent masque un paradoxe. Lorsque l’on parle, non plus « d’entrer dans l’armée » au sens large, mais de servir au plus dur du métier, sous des contraintes particulières, dans une culture d’exigence presque ascétique. Lorsque l’on prononce ces deux mots qui changent tout : Légion étrangère, l’enthousiasme se fait plus rare chez les jeunes Français. La Légion recrute. Près de 6 000 candidats pour l’année 2024 se sont présentés. Seuls 1 420 ont été immatriculés.. La sélection n’en retient qu’un sur quatre. En 2024, 54% des candidats immatriculés proviennent de 3 pays : Brésil et Colombie pour l’Amérique du sud et Népal. A la Légion étrangère 90 % de l’effectif total (hors officiers) est composé d’étrangers ; les francophones — et spécifiquement les Français — ne pèsent qu’un peu plus de 8,5 % des immatriculés pour 2024. Ces chiffres disent une réalité : la Légion fascine, elle attire des milliers de volontaires du monde entier, mais pas massivement les nôtres. Faut-il en conclure que l’« Aventure » avec un grand A ne parle plus à la jeunesse française ? Ce serait aller trop vite (les chiffres pour 2025 sont à la hausse). Les enquêtes montrent au contraire une disponibilité au sursaut en cas de conflit et une vision moins antimilitariste qu’hier ; chez les 18–25 ans, la proportion de jeunes prêts à s’engager pour défendre le pays dans des circonstances graves surprend par sa solidité. Alors, que se passe-t-il ? Ce que l’« armée régulière » offre — et que la Légion, par nature, n’offre pas (ou autrement). Parler de « fausse facilité » n’est pas accuser nos armées d’être des havres de mollesse — quiconque a fait un pas de côté vers un terrain d’opérations sait ce qu’il en coûte. Mais l’attractivité de l’armée de Terre, de l’Air et de l’Espace ou de la Marine tient à plusieurs ressorts très concrets, lisibles par un lycéen, un apprenti ou un jeune en recherche d’un avenir : Des rémunérations (qui sont pourtant identiques à la Légion) et avantages clairement affichés, des parcours balisés, de l’hébergement et des repas, des primes, un horizon de qualification et de promotion. Le site de recrutement de l’armée de Terre met tout noir sur blanc : soldes indicatives, logements possibles, perspectives. C’est simple, tangible, et très rassurant pour des familles. Des portes d’entrée multiples (EVAT, réserves, apprentissages, contrats courts, volontariats), une panoplie de métiers (techniques, logistiques, cyber, santé…) et une promesse de diplôme ou de certification transférable au civil. Autant d’arguments « raisonnables » dans une génération qui doit penser emploi autant que engagement. À l’inverse, la Légion cumule — c’est sa grandeur et sa singularité — des contraintes statutaires et de vie qui refroidissent plus d’un candidat français : Servir “à titre étranger” : un cadre légal spécifique, des démarches d’identité particulières, la possibilité de servir sous une identité administrative d’emprunt au début, puis de « régulariser » sa situation. Cette singularité, tolérée et encadrée par le droit, n’a pas d’équivalent dans les autres forces armées. La crainte parfois de se retrouver au milieu d’étrangers ne parlant pas le français. Règles de vie plus strictes, notamment au début : célibat statutaire, mobilité, permissions sous conditions tant que l’identité n’est pas régularisée. Ce n’est pas « moins bien », c’est autre — et plus contraignant. Sélection plus rude : un peu plus de 20 % d’admis, par essence « anti-massification ». On n’entre pas « à la Légion », on y est reconnu digne d’y entrer. Le mythe d’une période d’instruction infernale à Castelnaudary… Tout cela contribue à une perception : l’armée « régulière » offrirait le même uniforme, moins d’opacité et plus de visibilité ; la Légion, elle, demanderait l’abandon de soi au sens fort, juridique, administratif, identitaire et culturel — ce que nombre de jeunes Français, aujourd’hui, hésitent à consentir. Le poids des temps : économie, éducation, culture. Ajoutons à ces paramètres les vents contraires du moment : Économique. Le chômage des 15–24 ans frôle un palier élevé depuis des années (autour de 19 % en 2025). Ce qui ne rend malheureusement pas la jeunesse plus « risqueuse », car paradoxalement, la précarité pousse à choisir le chemin le plus lisible vers l’insertion — pas forcément le plus exigeant, mais celui où l’on sait ce qu’on signe et vers quoi on va. Institutionnel. La fonction publique tout entière peine à recruter ; l’État réfléchit à son attractivité, multiplie les passerelles, ouvre plus de postes contractuels — signe que le rapport au service public est en transition. Les armées bénéficient de cette réflexion générale… mais la Légion, qui ne ressemble à rien d’autre, en demeure en marge. Éducatif. Le Service national universel (SNU) devait retisser un lien civico-militaire. Ses effets existent (satisfaction des participants) mais l’ampleur, le coût et la finalité du dispositif restent contestés ; les cohortes restent très inférieures aux ambitions initiales. Autrement dit, le bain commun par lequel renaissent parfois les vocations militaires n’a pas encore trouvé sa forme. Enfin, il y a la culture : une décennie saturée de peurs climatiques et sécuritaires, une hyper-connexion qui réduit l’imaginaire de l’épreuve au format de la vidéo courte, de l’instantanéité, un rapport au corps plus fragile. Cela ne tue pas le courage, mais cela brouille la promesse d’Aventure. Légion : l’épreuve comme identité. La Légion n’est pas une simple affectation ; c’est une conversion. Elle demande d’entrer dans une fraternité où l’accent n’importe pas, où la biographie se tait, où la Grenade à sept flammes reprend tout. C’est la logique du more majorum, faire comme les anciens : accepter la dureté, l’âpreté du quotidien, la fraternité qui se forge sur la caillasse et l’ennui, aussi — cette part que les vidéos de recrutement montrent peu parce qu’elle ne claque pas en dix secondes. Servir à titre étranger — y compris pour un Français — n’est pas une bizarrerie folklorique ; c’est le cœur du pacte : on entre comme étranger pour mieux découvrir une patrie de devoir. Et l’on vit, au moins un temps, avec moins de droits concrets (permissions, identité, vie de famille) qu’un engagé de l’armée de Terre. Ce n’est pas une punition ; c’est la contrepartie d’une promesse : devenir autre que soi en se donnant tout entier à la Légion étrangère, avant de retrouver son nom, son passé, son pays — parfois même, pour les étrangers, en devenant français par le sang versé. Cette anthropologie de la mue — brutale, radicale, rédemptrice — parle puissamment aux étrangers qui rêvent de France. Elle parle moins directement aux nôtres, élevés dans l’idée que l’État doit protéger sans exiger — ou du moins pas autant. La « fausse facilité » de l’armée régulière. Soyons justes : il n’y a pas de voie « facile » sous l’uniforme. Il y a des contraintes différentes. Si l’armée régulière attire davantage les jeunes Français, c’est parce qu’elle raconte plus clairement ce qu’elle donne et ce qu’elle prend : une solde, un métier, un diplôme, une fraternité, des opérations, et un horizon de reconversion solide. Les pages officielles le martèlent : on sait ce qu’on va toucher après un an, on sait comment on peut progresser, on voit les passerelles. La lisibilité est un argument social majeur en 2025. La Légion, elle, raconte moins et exige plus. Sa sélection ferme la porte à la logique du « je verrai bien » ; son statut déroute ; son imaginaire, fait de silences, de traditions, de rites, impressionne autant qu’il intimide. Résultat : des jeunes Français sincèrement attirés par l’engagement militaire se disent : « Commence par l’armée de Terre ; la Légion, on verra plus tard. » Mais « plus tard » vient rarement. Les raisons d’espérer. Il serait faux — et injuste — de dire que la jeunesse française a déserté l’Aventure. D’une part, les armées recrutent et souvent dans de bons profils ; d’autre part, l’IRSEM montre que l’aptitude au sursaut face à une menace grave est réelle. Enfin, les crises (géopolitiques, sécuritaires) réinstallent un réalisme dont on n’avait plus l’habitude : le monde est dur, la France n’est pas invulnérable, et la vocation de combattant retrouve du sens. Comment raviver le pouvoir d’attraction de la Légion sur les jeunes Français sans trahir ce qu’elle est ? Dire vrai sur les contraintes. Ni enjoliver, ni dramatiser. Expliquer clairement le titre étranger, la régularisation d’identité, le célibat statutaire initial, les permissions. Beaucoup reculent non parce que c’est dur, mais peut-être parce qu’ils ne comprennent pas. Témoigner. Rien ne vaut la parole d’Anciens : pas celle qui « mythifie », mais celle qui transmet le quotidien — la fierté, la poussière, l’amitié, les doutes. L’exemple parle plus qu’une affiche. Ponts et sas. Sans dénaturer la sélection, on peut multiplier des journées d’immersion (au musée, en régiment, au contact), des parcours d’information robuste en lycées pro et en CFA, là où l’on recrute des tempéraments qui aiment faire. Les armées ont commencé — stages, volontariats, apprentissages — ; raconter la Légion à ces publics autrement que par la légende noire ou dorée est un investissement d’avenir. Et ce travail essentiel est le quotidien, de tous ceux qui servent au sein du Groupement de Recrutement de la Légion étrangère. Et ils font un travail de grande qualité ; malheureusement, peut-être, pas assez mis en avant… Revaloriser l’éthique de l’épreuve dans l’école et la cité. Le SNU, en l’état, ne suffit pas ; il faudra autre chose — plus modeste, plus continu, plus incarné — pour redonner le goût de la difficulté utile, de l’effort en commun, du dépassement partagé [1]. Assumer l’élite. On ne rentre pas à la Légion pour « essayer ». On y va pour devenir autre. Dire cela ne ferme pas ; cela éclaire. L’élitisme de la Légion n’est pas social, il est moral et physique ; il se mérite, il se partage, il se transmet. Mélancolie et fidélité. On peut être mélancolique devant une époque qui redoute la blessure, la peine, l’ennui — ces maîtres d’apprentissage de toute troupe d’élite. On peut regarder les cortèges d’Anciens, les drapeaux rapiécés, les photos noir et blanc, et se dire que quelque chose s’est perdu — un sens simple : « on s’engage, on sert, on se tait ». Mais les temps ne sont pas à l’élégie. La fidélité ne consiste pas à regretter une jeunesse passée ; elle consiste à faire aimer la part noble du métier à la jeunesse présente. Dans les rangs de l’Armée française, aujourd’hui, des garçons et des filles de vingt ans portent nos couleurs avec sérieux et détermination; ils savent la gravité de l’heure. Dans les postes de recrutement, des regards hésitent — et c’est normal. À ceux-là, il faut dire ceci : l’Aventure n’est pas morte. Elle n’est pas un décor, ni un clip, ni une anecdote. C’est un choix — possiblement le plus grand : se laisser tailler par une discipline, devenir nécessaire à ses camarades, et plus exigeant avec soi-même. La Légion restera une voie étroite. C’est sa fonction, sa dignité. Elle ne doit pas chercher à plaire, mais à appeler ceux qui, au fond, n’ont jamais voulu d’une vie facile — simplement d’une vie pleine. À nous — Anciens, cadres, sympathisants attentifs — de rendre visibles ses raisons, sans folklore ni effet de manche. Alors, il est possible que plus de jeunes Français franchiront la porte. Moins qu’ailleurs, mais mieux. Et si cela ne suffit pas… Ce sera déjà ça… Derniers repères (pour situer le débat). Recrutements annuels élevés dans les armées ; le ministère des Armées demeure un grand employeur public. Jeunes et guerre : les travaux de l’IRSEM attestent d’une disposition à l’engagement plus forte qu’on ne le croit. Marché du travail : chômage des 15–24 ans autour de 19 % en 2025 ; la sécurité matérielle pèse dans les choix. SNU : satisfactions individuelles, mais dispositif discuté (coût, objectifs, trajectoire), donc impact structurant encore limité. Légion : ~90 % d’étrangers, ~10 % de francophones, sélection ~ 20 % d’admis ; statut « à titre étranger » et règles de vie spécifiques au début du service. En guise de conclusion Il n’est pas vrai que notre jeunesse n’aime plus l’Aventure. Elle la soupçonne, elle la redoute parfois, mais elle la cherche autrement. Quand elle comprend ce qu’elle engage — son temps, son nom, son confort —, elle sait encore se donner. À nous d’éclairer la route, pas de la rendre plus facile. La Légion n’a pas besoin de « marketing ». Elle a besoin de vérité. Et la vérité, encore plus aujourd’hui, attire. More Majorum ! [1] Le SNU va changer sous une autre forme en 2026. https://www.legionetrangere.fr/la-fsale/actualites-de-la-fsale/5868-la-jeunesse-francaise-et-le-metier-des-armes-ou-lombre-de-laventure-et-la-lumiere-du-confort.html 2 Citer Ya Rab Yeshua.
Yann pyromane Posté(e) 13 septembre Signaler Posté(e) 13 septembre J'en etais resté aux legionnaires des Pays de l'Est.. Je date.. 🤣 1 Citer
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