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Engagé au 131e régiment d’infanterie comme homme du rang, il prépare et réussit le concours d’officier et est nommé sous-lieutenant en 1937 au 1er régiment étranger (Légion étrangère), puis lieutenant en octobre 1938. En 1939, il est au Levant avec le 6e régiment étranger.
Après la campagne de Syrie-Liban, il refuse de rejoindre les rangs des FFL et retourne dans les rangs de la Légion étrangère à Marseille. De là, il gagne la Résistance (réseau Vengeance du mouvement « Ceux de la Libération ») sous le nom de Jardin, lors de l’invasion de la zone libre. En 1944, il est fait prisonnier et interné au camp de Mauthausen. Souffrant d’une pleurésie, affaibli et amaigri, il est libéré par les Alliés en mai 1945.
À la fin de la guerre, il se porte volontaire pour servir au sein des unités parachutistes de la Légion. Le chef de bataillon Pierre Segrétain, formant en Algérie, le 1er BEP, se souvient d’un officier qu’il a connu au Levant, le capitaine Jeanpierre, et lui demande d’être son adjoint. Sous les ordres de Segrétain, le BEP et Jeanpierre rejoignent l’Indochine en 1948. En 1950, lors de l’évacuation de Cao Bằng par la RC4, sous les ordres du colonel Lepage, le 1er BEP saute sur That Khé le 17 septembre 1950 pour renforcer la colonne Charton, partie de Lạng Sơn. Les légionnaires sont poursuivis par 30 000 soldats de Giap. Les rares survivants de la nuit de fusillade à Coc-Xa retrouvent ceux de la colonne Charton. Alors que le commandant Segrétain est grièvement blessé, que le bataillon est décimé, Jeanpierre décide de rejoindre That Khé. Il franchit les lignes d’embuscades Vietminh, emmenant une dizaine de légionnaires, avec des éléments du 3e Tabor marocain commandés par le sous-lieutenant Beucler.
Rapatrié en Algérie, il repart pour l’Indochine en 1954 après la chute du camp retranché de Diên Biên Phu. Il prend alors le commandement du 1er bataillon étranger de parachutistes. Lorsque cette unité prend l’appellation de « régiment », il cède sa place au colonel Brothier, à qui il succédera en 1957, au retour de l’expédition de Suez.
Sous son commandement, le régiment livre la bataille d’Alger. Il fut blessé par des éclats de grenade lancée par Yacef Saadi, chef de la Zone autonome d’Alger, peu avant son arrestation. Il enchaîne les succès dans la bataille des Frontières face aux combattants de l’ALN. Dans l’après-midi du 29 mai 1958, dans la région de Guelma, alors que le 1er REP accroche une katiba de l’ALN sur les pentes du djebel Mermera, l’hélicoptère Alouette II depuis lequel il commande son régiment est abattu ; son indicatif radio étant « Soleil », le transmetteur annonce à la radio la terrible sentence : « Soleil est mort ». Le régiment est frappé de stupeur. Le 31 mai, un suprême hommage lui est rendu à Guelma puis des obsèques religieuses sont célébrées en la cathédrale de Nevers. Le colonel Pierre-Paul Jeanpierre repose désormais au « carré Légion » du cimetière de Puyloubier.
Ce chef de guerre, vétéran de plusieurs conflits, était craint en raison de sa dureté et de son exigence au combat, faisant parfois passer le bilan des opérations avant la vie de ses légionnaires. Toutefois, il était admiré de ses hommes. Son portrait est exposé parmi ceux des plus prestigieux officiers de la Légion dans la salle honneur du musée de la Légion étrangère à Camp Major à Aubagne.
En pleine « bataille des frontières », dans la région de Guelma (Algérie), le lieutenant-colonel Jeanpierre, chef du 1er REP, est tué à la tête de ses Bérets verts.
Le 29 mai 1958, une des compagnies du 1er régiment étranger de parachutistes (le 1er REP) se heurte à une bande rebelle au cours d’une opération classique de ratissage, dans le djebel Marmara, en plein Est constantinois. Tout de suite, l’affaire se révèle difficile. Le terrain apparaît terriblement broussailleux et raviné, et les adversaires se sont dissimulés dans de véritables retranchements naturels. Il ne sera pas commode de les extirper de leurs refuges. À bord de l’hélicoptère Alouette qui lui sert de poste de commandement volant, le lieutenant-colonel Jeanpierre, commandant le 1er REP, arrive pour survoler le lieu de l’accrochage et prendre une décision sur le terrain. L’appareil passe et repasse à très basse altitude, rasant les arbres de la végétation touffue où se terrent les hors-la-loi. Du sol, les légionnaires paras peuvent reconnaître leur chef, assis à l’avant près du pilote, une carte sur ses genoux. On distingue même les écouteurs radio sur ses oreilles, avec le casque au-dessus du béret vert. L’Alouette survole de plus en plus bas et de moins en moins vite la zone où s’accroche la résistance adverse. À chaque passage claquent des coups de feu.
Soudain, le bruit familier du rotor ralentit, puis s’arrête : L’appareil perd très vite de l’altitude. Il oscille, semble hésiter avant de tomber comme une pierre, Une balle a sectionné la conduite de kérosène. L’appareil s’écrase sur une arête rocheuse, en plein milieu des bois. Les légionnaires se précipitent vers le point de chute, essayant de gagner de vitesse les rebelles. C’est une course vers la mort. Vers un mort. Parmi les premiers, le capitaine Morin, officier adjoint du 1er REP, arrive sur les lieux de la chute : « Jeanpierre repose mort sur son siège, béret vert sur la tête, à côté de l’officier pilote qui était pour lui un complice et un ami. »
Dans ce djebel Marmara, en ce triste 29 mai, l’unité vit des heures terribles. Le capitaine Ysquierdo, qui commande la 2e compagnie, annonce à la radio à tous ses camarades atterrés :
— « Soleil » est mort.
Le serment de Jeanpierre : ne plus jamais perdre de guerre…
La mort du lieutenant-colonel Jeanpierre, tombé « en plein ciel de gloire », marque pratiquement la fin de l’engagement du 1er REP dans ce qu’on a appelé la bataille des frontières. Après l’expédition de Suez, après la bataille d’Alger, après l’opération Sahara, l’unité a été engagée au début de l’année 1958 dans un des secteurs les plus difficiles d’Algérie. Cette zone située au nord de Guelma est un véritable repaire de fellagha, qui savent profiter à merveille du terrain broussailleux et raviné. Jusqu’à l’arrivée des Bérets verts, ils s’y trouvaient pratiquement dans leur domaine. La montagne et la nuit leur appartenaient sans partage. On y trouvait aussi bien de jeunes recrues, rameutées de tous les douars d’Algérie et prêtes à partir pour l’entraînement en Tunisie, que des combattants bien équipés et bien instruits, qui arrivaient précisément du « sanctuaire » tunisien où les bases arrière du FLN se situaient, à quelques kilomètres d’une frontière politiquement inviolable, Il existait certes un barrage, électrifié de surcroît, surveillé par des postes fixes et parcouru par une « herse » mobile, mais le propre des barrages de ce genre est d’être perméable. De toute façon, il ne collait pas à la frontière et il restait une vaste étendue de terrain où les katibas rebelles comme les compagnies françaises pouvaient manœuvrer tout à leur aise.
Quand le lieutenant-colonel Jeanpierre reçoit l’ordre de quitter le Sahara pour Guelma, il sait qu’il doit porter le fer et le feu au cœur même d’une des zones les plus « pourries » de toute l’Algérie. Il pleut. L’Est constantinois est d’ailleurs une des régions des régions les plus humides de toute l’Algérie, ce qui explique cette végétation abondante, souvent impénétrable, d’épineux et de taillis. Les rebelles s’y terrent comme des sangliers dans leur bauge et les en déloger ne sera pas facile.
Tout commence le 19 janvier 1958, par le départ du Sahara de ces camions peints en kaki clair depuis Suez. Les véhicules sont ouverts à tous les vents et leurs flancs de ferraille luisent d’une boue gluante. Les légionnaires, grelottant de froid, partent pour ce qu’ils croient enfin être la « vraie guerre » sous des averses glaciales. Leur convoi évoque un peu ceux de la Voie sacrée qui menait à Verdun. L’atmosphère est grave, tendue même. Un chant jaillit d’un camion, nostalgique et puissant :
Nous sommes les hommes des troupes d’assaut
Soldats de la vieille Légion…
D’un autre camion, un groupe de combat reprend le chant terrible de la bataille et de la mort :
Nous n’avons pas seulement des armes
Mais le Diable marche avec nous…
Le 20 janvier, les légionnaires paras entrent à Constantine et reçoivent l’ordre de continuer sur Guelma par un itinéraire détourné, utilisant la route coupée par les inondations. Dans sa Jeep, le lieutenant-colonel Jeanpierre reste silencieux comme à son habitude. Ce colosse est un taciturne qui connaît la véritable solitude du chef.
Il parle peu de son passé mais tous le connaissent ; fils d’un tué de 14-18, engagé à 18 ans, Saint-Maixent, la défaite de 40, l’armée d’armistice, la Syrie, la Résistance, la déportation. Et l’Indochine. Au pire moment. Il est des 24 légionnaires paras revenus vivants et libres du « désastre de Cao Bang », sur la RC 4, après s’être battu comme un lion à Dong-Khé. Au physique, c’est un homme grand et fort. Son visage, sa silhouette, sa démarche, tout évoque le grand acteur John Wayne. Jeanpierre vécu en Indochine le plus terrible « western » des visages pâles et il en a ramené une hantise, aussi lancinante que les souvenirs du bagne de Mauthausen : ne plus jamais perdre de guerre.
Aussi, ce baroudeur se bat pour gagner. La gloire est secondaire. Ce qui lui importe, c’est le résultat. Il sait être impitoyable pour l’adversaire, exigeant avec ses hommes, intraitable quand il s’agit du drapeau, de l’honneur, de la Légion. Commander le plus beau régiment de l’armée française est une joie qui se paie au prix fort, de tout son poids de fatigue et de sang. Déjà, en ce début d’année 1958, le lieutenant-colonel Jeanpierre est un chef légendaire. Pour les Bérets verts, il est peut-être encore davantage que Bigeard pour les Bérets rouges. C’est vers lui que les regards se tournent à l’heure de la décision et du combat. D’avoir en main la vie et la mort d’un millier d’hommes ne l’enivre pas. Bien au contraire. Il en tire un calme de menhir. Aucune tempête ne saurait l’abattre. Et quand on lui annonce « de la casse » parmi ses légionnaires, alors il serre les poings et il frappe plus fort.
Bilan du 1er REP à Guelma : 600 rebelles tués et 1 300 armes récupérées
Tout commence assez mal. Le jour même de l’arrivée, trois compagnies, déroutées pour rechercher des fellagha signalés, subissent quelques pertes — 4 tués et 2 blessés —, sans résultat. Jeanpierre ne sera pas à long à se venger. Il possède avec son 1er REP une puissance de choc redoutable. L’unité, surentraînée, se trouve commandée par des officiers de premier plan. Le capitaine Morin est pour Jeanpierre un adjoint et un camarade. Ancien résistant et déporté comme lui, il a été le premier à mettre sur pied en Indochine, en 1948, une compagnie parachutiste à partir des légionnaires du 3e REI. Tous les chefs de compagnie sont des capitaines d’élite dont on reparlera : « Loulou » Martin à la compagnie de commandement, Sergent à la 1re, Ysquierdo à la 2e, Chiron à la 3e, Gamas à la 4e, Glasser à la compagnie d’appui, Bésineau à la compagnie portée et Hautechaud à l’escadron à pied. Avec eux, Jeanpierre sait que le le 1er BEP fera face à toutes les situations.
Au début de l’après-midi du 23 janvier, il convoque ses cadres et leur donne leur premier ordre d’opération pour cette bataille qui commence :
— Nous partons cette nuit à 2 heures du matin.
À l’aube, le régiment lance une opération dans la forêt de la Mahouna. Il neige à menus flocons. Les premiers coups de feu claquent à 8 heures. Accrocheurs et bien encadrés, les Bérets verts perdent trois hommes, mais mettent hors de combat 67 rebelles et récupèrent 47 armes, dont 6 mitrailleuses. Ils restent la nuit sur le terrain et tuent encore 13 rebelles.
Le commandement est si surpris qu’il croit à un « bilan-cravate ». Mais ce n’est pas le genre de Jeanpierre. Avec lui, les généraux ne sont qu’au début de leur surprise. Le 2 février, dans la forêt de Beni Melleile, la compagnie Sergent tue 48 rebelles et récupère 27 armes. Le lendemain, le bilan est de 33 tués et de 28 armes saisies.
À la mi-février, ce sera le combat du Fedj-Zezoua. Deux jours de marche et de bataille. 163 tués pour l’ALN entre le 14 et 16 février. Dix jours se passent et le 1er REP accroche à Megroun El Ougali, où les rebelles voient encore tomber 149 des leurs. Ce mois de février 1958 est un mois noir pour l’ALN. Et à la fin de mars, en une seule opération à Chabba Ben Saïd, les légionnaires mettent encore hors de combat 114 fellagha. Jeanpierre mène la chasse à la tête de son unité, survolant, dès les premiers coups de feu, le champ de bataille à bord de l’Alouette. Ceux qui ont participé à ces actions fulgurantes ne les oublieront jamais.
Le capitaine Pierre Sergent, qui commandait alors la 1re compagnie, raconte la mort d’un des chefs de section, l’adjudant Stuwe, d’origine allemande, qui a servi naguère dans la Kriegsmarine… Un de ses légionnaires, allemand lui aussi, vient d’être tué. « Désormais, ce combat était devenu pour l’adjudant une affaire personnelle… L’ordre d’avancer arrive. Les armes automatiques déversent des torrents de balles qui sifflent. Debout au coude à coude, les légionnaires s’élancent en hurlant vers le fond de la cuvette où se terrent les fells. Le spectacle est grandiose. L’objectif de la section Stuwe est un rocher au fond de l’oued. La course continue, hallucinante. Les rafales partent, courtes, sèches, précises. Derrière chaque buisson, un fell… Des légionnaires tombent, les grenades explosent. Une épaisse fumée s’élève. La bouche sèche, le cœur battant, les hommes du 1er REP poursuivent l’assaut dans un élan irrésistible. Les fells font les frais de leur colère. Ils paient leurs heures de marche, leurs souffrances, la mort des copains. L’adjudant Stuwe, avec cinq de ses hommes, s’empare dans un assaut fantastique d’une arme automatique ennemie, une redoutable MG 42 allemande. La section reprend sa course folle. Stuwe est en tête, mitrailleuse à la hanche. Il hache les buissons. Bientôt, la bande de munitions est vide. Il jette l’arme désormais inutile, et reprend son PM. Au même moment, une grenade explose tout près. Il est touché, un éclat dans la jambe. Il fléchit le genou, se redresse, se retourne à demi pour donner l’ordre de continuer la progression, quand une rafale le frappe dans le dos. Il s’écroule. Une voix hurle : « l’adjudant est mort ! « La réaction est immédiate. Une folie meurtrière s’empare de la section… Un FM crache la mort, mais rien ne saurait les arrêter. Ils ont perdu toute prudence. La position est investie. Les fells s’abattent les uns sur les autres, fauchés. »
Chaban vous admire et Delmas vous envie !
Tels sont les hommes que conduit au combat le lieutenant-colonel Jeanpierre. Sa légende, en quelques semaines, ne fait que grandir. Il est fait commandeur de la Légion d’honneur à titre exceptionnel. En moins de cinq semaines de lutte, ces Bérets verts ont mis hors de combat 600 de leurs adversaires et récupéré 457 armes, « plaçant leur régiment au premier rang des troupes d’assaut de l’armée française », comme le dit le général Vanuxem, qui commande la zone Est constantinoise.
Pour le 30 avril, anniversaire de Camerone, le 1er REP, au lieu de fêter au cantonnement l’anniversaire sacré de la Légion, se trouve en plein combat. Pierre Sergent raconte : « Dans la tête des légionnaires, les premières rafales, mêlées au souvenir des combats de Camerone, produisent une sorte d’ivresse. Ils sont dopés, électrisés. Sans se baisser, sans la moindre précaution, ils progressent en tirant. Les commandants de compagnie ont beau hurler. Rien n’y fait. C’est le raz de marée, le rouleau compresseur. Certains légionnaires crient « Camerone ». D’autres chantent à tue-tête : « Tiens, voilà du boudin… » avant de balancer leur grenade… Debout, narquois, le béret vert rejeté en arrière, et l’arme à la hanche qui crache sans arrêt, les légionnaires sont heureux. »
Au soir du 30 avril 1958, dans l’oued Douar Khaîa, à l’heure du bilan, on compte 129 fellagha hors de combat. Le butin est aussi éloquent : 75 fusils, 37 pistolets-mitrailleurs, 6 fusils-mitrailleurs et 6 mitrailleuses.
Peu après, le ministre de la Défense nationale, en tournée d’inspection en Algérie, vient voir les hommes du le’ REP à Guelma. Le ministre est totalement conquis par les Bérets verts et laisse échapper une belle formule :
— Ah, messieurs, sachez-le : Chaban vous admire et Delmas vous envie !
Le mot fera fortune. D’autant qu’il annonce de grands changements politiques. Pendant que les légionnaires paras se battent dans les montagnes et les forêts, la France s’apprête à changer de régime et on sait Chaban-Delmas très attaché à l’Algérie française. Au moins autant qu’à la personne du général de Gaulle, qui attend son heure dans sa retraite énigmatique de Colombey. Le 13 mai 1958, Alger explose. Le processus se met en marche et il apparaît irréversible. L’affaire semble gagnée.
Pendant ce temps, le 1er REP, toujours à Guelma, se trouve entre deux opérations héliportées. Les bilans restent impressionnants mais il semble que l’adversaire, épuisé, ne soit plus à la hauteur des légionnaires paras qui, à force de le traquer, ne débuchent plus grand gibier. Et puis le régiment est fatigué. Très fatigué. Depuis près de quatre mois, les opérations se sont enchaînées sur un rythme infernal. Il était question de partir enfin au repos au camp de Zéralda, dont les allées sont bordées de rosiers plantés sur les ordres personnels du lieutenant-colonel Jeanpierre. Mais il paraît qu’on a encore besoin d’eux dans le djebel. Alors, comme de vieux grognards, les légionnaires grognent, ce qui ne les empêche pas de marcher toujours. Pire encore, les officiers se font écho de la fatigue de leurs hommes. Parler de repos, c’est agiter un chiffon rouge devant le taureau de combat qu’est Jeanpierre. Il s’emporte et lance aux capitaines éberlués :
— De quoi vous plaignez-vous ? Je vous fabrique de la gloire !
La chapelle de saint Jean et de saint Pierre
Près de lui, un homme au visage grave, sanglé dans sa tenue camouflée, se tait. Il sait mieux que nul autre le poids des souffrances de la troupe. C’est le père Louis Delarue, ancien missionnaire du Grand Nord canadien et aumônier parachutiste depuis l’Indochine. Ce prêtre-soldat n’a cessé de « crapahuter » avec les Bérets verts du 1er REP et les Bérets rouges du 2e RPC, et il s’arrange toujours pour se trouver avec la compagnie qu’il devine la plus exposée. Il est un des rares à savoir combien le colonel partage toutes les fatigues de ses légionnaires.
La belle saison arrive. Les jours allongent, les rebelles se terrent sous le soleil. Le lieutenant-colonel Jeanpierre s’est juré d’extirper les derniers qui rôdent encore au nord de son terrain de chasse. Le 29 mai, dans la région de l’ouest Bou-Amhad, il lance une nouvelle opération. Il pense que ce sera une des dernières de la région. Il ne sait pas que, pour lui, ce sera la dernière et que ce jour-là il trouvera la mort dans les débris de son Alouette-PC.
Le 9 juin 1958, le 1er REP quitte la région de Guelma, après avoir fait à son chef de poignantes obsèques militaires. Avec le lieutenant-colonel Jeanpierre, le 1er REP a vu tomber 111 des siens et il compte 272 blessés. Jamais, de toute la guerre d’Algérie, une unité de l’armée française n’aura payé si cher une victoire que les légionnaires parachutistes dans la bataille de Guelma.
Quelques mois plus tard, on a construit une chapelle dans l’enceinte du camp de Zéralda. Mais elle n’a pas encore de saint patron. L’aumônier du 1er REP, Louis Delarue, voit arriver quelques légionnaires paras qui lui disent :
— Père, pourquoi ne pas dédier notre chapelle à saint Jean et saint Pierre ?
— Pourquoi ?
— Mais, père, à cause du colonel Jeanpierre !