https://www.opex360.com/2025/11/22/un-rapport-parlementaire-plaide-pour-doter-la-marine-nationale-de-porte-drones/
Comme la Turquie, qui a admis au service le TCG Anadolu, la Corée du Sud a récemment fait part de son intention de doter ses forces navales d’un porte-drones en lieu et place du porte-avions qu’elle avait initialement envisagé [programme CV-X].
Plus précisément, il s’agit pour Séoul de construire un « navire de commandement polyvalent » pouvant mettre en œuvre des hélicoptères, différents modèles de drones aériens et des munitions téléopérées [MTO]. Pour justifier cette décision, les responsables sud-coréens ont avancé trois arguments : l’évolution de la guerre navale, le développement de systèmes autonomes grâce à l’apport de l’intelligence artificielle et l’économie engendrée par l’annulation de l’achat de chasseurs-bombardiers F-35B [soit au moins 2,5 milliards d’euros].
Dans le fond, ce projet consiste surtout à remplacer des avions de combat embarqués par des drones aériens. Est-ce que ce sera pertinent pour mener les opérations navales de demain ?
Pour la Chine, cela ne fait aucun doute.
Cette semaine, son nouveau navire d’assaut amphibie de type 076, le Sichuan, a entamé ses essais en mer. Or, il a la particularité d’être équipé d’une catapulte électromagnétique afin de lancer des drones de combat [UCAV] furtifs. À noter que, dans le même temps, elle poursuit le développement de ses capacités aéronavales, son quatrième porte-avions étant d’ores et déjà en construction.
Par ailleurs, Singapour a récemment lancé le Victory, le premier des six navires de combat multirôles [MRCV – Multi-Role Combat Vessels] construit par ST Engineering Marine (ci-dessus).
Affichant un déplacement de 8 000 tonnes pour une longueur de 150 mètres, ce bâtiment aux allures d’une frégate est conçu pour déployer non seulement des drones aériens mais également des drones de surface [USV] et des drones sous-marins [AUV].
Le Portugal s’est aussi engagé dans cette voie, en confiant au chantier naval néerlandais Damen le soin de construire le navire polyvalent « João II », dans le cadre du programme Plateforme Navale Multifonctionnelle (ci-dessus).
En effet, d’une longueur de 107,6 mètres pour un déplacement de 7 000 tonnes, ce bâtiment aura la capacité de mettre en œuvre des drones aériens et navals.
En France, la construction d’un tel navire n’est pas envisagée.
Du moins pas encore. Et pourtant, les arguments en sa faveur ne manquent pas : équipage réduit, polyvalence des missions [surveillance, frappe, exploration, renseignement, etc.], coût abordable, etc. En outre, un porte-drones pourrait compléter les capacités d’un groupe aéronaval.
D’ailleurs, l’an passée, la députée Caroline Colombier [RN] avait interpellé le ministère des Armées sur ce sujet, via une question écrite.
Un porte-drones « symboliserait la prise de conscience générale du rôle des drones dans les conflits présents et à venir » et « sans remplacer pour autant les porte-avions ou les porte-hélicoptères amphibies », il « pourrait constituer une pièce maîtresse dans l’arsenal de la marine afin d’effectuer rapidement des missions diversifiées en limitant les arrêts techniques qui paralysent régulièrement les bâtiments majeurs », avait fait valoir Mme Colombier.
Dans sa réponse, le ministère des Armées avait écarté cette idée en avançant que « les navires, sous-marins et aéronefs de la marine, actuels et futurs, seront les porteurs de ces drones qui font, et feront encore plus demain, partie intégrante des capacités nécessaires pour assurer la supériorité en mer ». Et d’ajouter : « À ce titre, le porte-avions et les porte-hélicoptères amphibies constituent déjà des plateformes capables d’accueillir et mettre en œuvre des drones, en complément des aéronefs habités ».
Tel a d’ailleurs été l’enjeu de l’exerice Dragoon Fury, mené en mars dernier avec le PHA Tonnerre.
Pour autant, le débat n’est pas clos.
Rapporteur pour avis sur le budget du programme 178 « Préparation et emploi des forces – Marine », le député Yannick Chenevard a d’abord souligné le retard pris par la Marine nationale en matière de drones, en le mettant sur le compte du « manque d’agilité » de la Direction générale de l’armement [DGA] ainsi que sur celui des expérimentations beaucoup trop longues des nouveaux systèmes [il a fallu neuf ans pour déployer le drone aérien S-100 Serval à bord d’un porte-hélicoptères amphibie, alors que les premiers essais avaient été réalisés en 2008, à bord de la frégate Montcalm, aujourd’hui désarmée, ndlr].
Quoi qu’il en soit, même s’il y a eu une prise de conscience sous l’effet des conflits en cours, pour M. Chenevard, « la révolution des drones posait la question des porteurs ».
« Aujourd’hui, la Marine n’envisage les drones que lancés ou mis à l’eau depuis un bateau existant, frégates, Patrouilleur outre-mer, patrouilleur hauturier ou porte-hélicoptères amphibie. Or, s’ils constituent, naturellement, un atout pour ces navires, dont ils renforcent les capacités et améliorent les conditions de réalisation de leurs missions, le fait est qu’ils ne sont pas dédiés aux drones et qu’ils ne peuvent en emporter qu’un nombre très limité, ce qui empêche la mise en œuvre de stratégie telle que les attaques en essaim », souligne le rapporteur.
Aussi, estime-t-il « nécessaire » de mener « une réflexion sur une nouvelle classe de bâtiments, des porte-drones, qui pourraient emporter un grand nombre de drones, à la fois aériens, de surface ou sous-marins, comme l’ont compris des pays tels que la Turquie, le Portugal ou Singapour, en voie de se doter d’un tel bâtiment ».
Et d’insister : « Au final, les drones sont le moyen le plus simple, le plus rapide et le moins coûteux pour nos armées pour gagner en masse, notamment dans le domaine sous-marin, tout en leur permettant d’accomplir de manière plus efficace leurs missions ».
Photo : Drone S-100 « Serval » à bord du PHA Tonnerre – Marine nationale