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Chez EURENCO, l’accélération sans poudre aux yeux


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L’accélération n’est pas un vain mot pour EURENCO. Ce spécialiste des poudres et explosifs investira 500 M€ sur trois ans pour « produire plus et plus vite », enjeu décrété par le ministère des Armées et exigé par la dégradation de l’environnement sécuritaire. Une stratégie globale de renforcement de l’outil industriel qui commencera bientôt à porter ses fruits en Dordogne, sur le site de Bergerac. 

 

« La vocation d’EURENCO, c’est d’être le leader européen des matières énergétiques. C’est ce que nous sommes et ce que nous cherchons à consolider », rappelle Vincent Dehaes, directeur du site périgourdin. Une position que nul ne saurait contester, les chiffres parlent d’eux-mêmes. En moins de six mois, le groupe aura engrangé plus de 1 Md€ de commandes sur le seul continent européen, lui donnant de la visibilité « certainement jusqu’en 2028, 2030 », estime Thierry Francou, à la tête du groupe EURENCO depuis 2019. 

 

Cette dynamique aura propulsé le chiffre d’affaires au-delà de 350 M€ lors du dernier exercice, dont les trois-quart générés par l’export. De quoi dépasser le cap des 500 M€ dès cette année, point de passage d’une croissance qui amène EURENCO « quasi mécaniquement » à un chiffre d’affaires de l’ordre du millard d’euros à l’horizon 2030. Pour y parvenir, « il faut investir », indique le chef d’entreprise. La visibilité, la rentabilité et les soutiens institutionnels le permettent, 500 M€ sont donc prévus pour muscler la production des implantations de Sorgues (Vaucluse), Bergerac (Dordogne), Karlskoga (Suède) et Clermont (Belgique), avec de premiers résultats visibles d’ici quelques mois dans le sud-ouest de la France.  

 
Refaire de Bergerac une poudrerie
 

Il est loin, le temps où la poudrerie de Bergerac risquait de mettre la clef sous la porte. Ce site créé durant la Première guerre mondiale est, depuis l’an dernier, redevenu stratégique pour l’État français et, au-delà, pour l’ensemble de la filière munitionnaire européenne. En cause, une explosion de la demande en munitions consécutive de l’éclatement du conflit russo-ukrainien et du réarmement généralisé que celui-ci induit auprès des armées de l’OTAN. C’est aussi une décision de souveraineté, la France privilégiant le retour à l’indépendance totale pour ses approvisionnements en obus de gros calibre. L’heure est donc à l’accélération, une notion loin d’être vaine dans le cas d’EURENCO. 

 

À Bergerac, la métamorphose se jouera en deux actes : d’abord les poudres, ensuite les charges modulaires. Délocalisée en 2007 en Suède sur le site de Karlskoga, la production de poudre propulsive pour obus de gros calibre redémarrera dès cette année en Dordogne, marquant l’aboutissement d’une décision officialisée en février 2023. Quelque 60 M€ seront investis pour dupliquer la capacité suédoise existante, dont 50 M€ sur fonds propres et 10 M€ apportés par la Direction générale de l’armement (DGA). 

 

Baptisé « POURPRE », le projet prévoit l’activation d’une ligne modulaire totalement automatisée et intégrant de nouvelles technologies pour gagner en robustesse et en performance. International, le projet occupe une trentaine de personnes et des savoir-faire venus de Suède et de Belgique. Si le planning imposé est « le principal défi », « l’objectif reste maintenu, nous sommes dans les temps », rassure le chef d’orchestre du projet, Damien Ayesa. 

 
Chez-EURENCO-lacceleration-sans-poudre-a Une quinzaine de bâtiments sortiront bientôt de terre pour accueillir la future ligne de production de poudre souveraine, un chantier qui mobilisera jusqu’à 250 personnes simultanément
 

Les travaux de terrassement achevés, les bâtiments sortiront de terre dans le courant de l’été. Les équipements seront livrés et installés en septembre. Suivra une série d’essais à partir de matière inerte et une montée en charge progressive qui permettra d’entamer la production en série avant l’été 2025. Ironie de l’histoire, les 15 hectares désignés pour accueillir la quinzaine de bâtiments de cette future ligne sont ceux où se tenait, entre 1915 et 2007, l’ancienne ligne délocalisée en Suède. Une activité dont les dernières traces ont été effacées… fin 2021, quelques mois seulement avant le déclenchement du conflit à l’origine de ce rétropédalage.

 

« L’objectif qui nous a été demandé, c’est de pouvoir fabriquer 1200 tonnes de poudre le plus vite possible », indique le chef de projet. Un volume annuel qui devrait être atteint courant 2027, voire avant car des projets d’accélération sont sur la table. Et un objectif en réalité intermédiaire, le groupe projetant d’ores et déjà de grimper à 1800 tonnes par an. De quoi remplir près de 800 000 charges modulaires, ces gargousses de nouvelle génération utilisées pour propulser un obus d’artillerie jusqu’à 40 km, qui ont fait la renommée d’EURENCO et sont au centre du second acte bergeracois. 

 
Vers le million de charges modulaires
 

Derrière le retour de la poudre, Bergerac reste de très loin le plus gros producteur de charges modulaires en Europe. Avant l’inflexion décidée l’an dernier, ses équipes travaillaient cinq jours sur sept. Depuis six mois, le flux est ininterrompu au sein des deux lignes dimensionnées pour sortir, ensemble, 500 000 charges par an ou l’équivalent de près de 90 000 coups complets de 155 mm.

 

Le sursaut est significatif par rapport au point bas atteint en 2019 et ses 100 000 charges produites, et pourtant EURENCO n’est encore qu’à mi-parcours de la cible finale. Cette capacité sera en effet doublée grâce à l’installation d’une troisième ligne. Un projet plus confidentiel mais dont l’aboutissement est programmé pour 2026. « Nous démarrons actuellement les études », explique Vincent Dehaes.

 

Multiplier les sources de production, c’est gagner en robustesse et en agilité face à certains compétiteurs de plus en plus enclins à user de nouveaux leviers d’intimidations. Désormais « considéré comme stratégique », le site de Bergerac est protégé en conséquence. En cas de pépin, les armées françaises se tiennent prêtes à envoyer la chasse depuis les bases aériennes environnantes. Surtout, le bouclier cyber est continuellement renforcé, ces industries de plus en plus connectées et automatisées devenant une cible de choix pour les hackers adverses. 

 

Le défi de la montée en puissance s’accompagne de celui des ressources humaines. Nouvelles lignes oblige, le nombre d’employés va passer de 330 à environ 500 d’ici deux ans. À elle seule, la production de poudre mobilisera 80 salariés, dont une bonne moitié de cols bleus. Si trouver et former des opérateurs ne pose à première vue pas de souci, engager des ingénieurs et techniciens s’avère « plus compliqué » dans un bassin d’emploi restreint. 

 

Ici aussi, EURENCO a fait preuve d’inventivité en ouvrant une nouvelle antenne en périphérie de Bordeaux, au sein d’un bâtiment flambant neuf. Ce « Cockpit » basé à Mérignac est devenu il y a deux semaines le port d’attache privilégié pour toucher un écosystème plus dense et diversifié, des écoles d’ingénieurs aux partenaires industriels actuels et futurs. Destiné à soutenir le développement du groupe, il aura aussi vocation à capter les talents au profit des autres entités.

 
Faire autrement
 

EURENCO est devenu en un an un exemple de « ce qu’il faut faire » en matière de bascule vers une « économie de guerre », credo ministériel visant à inciter la filière défense française à « produire plus, plus vite et moins cher ». Exit la logique de flux, place au stockage de certaines matières critiques. Bon élève, EURENCO a ainsi rapidement constitué des stocks stratégiques de coton, l’une des deux matières pouvant servir dans la conception de la nitrocellulose, elle même nécessaire pour fabriquer la poudre. « Nous avons un an et demi de visibilité devant nous », indique Vincent Delhaes. Ses équipes produisent actuellement 4000 tonnes de nitrocellulose par an, un volume encore bien loin du seuil maximal. 

 

Cette accélération en cours, EURENCO la doit aussi à l’innovation. Si les recherches sur la formulation des produits se poursuivent pour, entre autres, gagner en portée d’emploi, l’innovation relève aujourd’hui davantage des moyens de production que de la molécule du futur, relève Thierry Francou. Une volonté de « faire autrement » symbolisée par l’automatisation des chaînes, mais aussi par quelques bonnes idées portées par une poignée de techniciens audacieux et soutenues par la direction.

 
Chez-EURENCO-lacceleration-sans-poudre-a L’une des quatre « imprimantes » de l’atelier RIC, technologie qui aura permis à EURENCO de s’ouvrir à de nouveaux marchés et de qualifier ses charges sur d’autres systèmes d’artillerie
 

« Vitrine d’EURENCO en matière d’innovation », Bergerac accueille depuis peu un atelier unique en son genre. Baptisé RIC (pour « Relai Initiateur Chargé »), celui-ci aura permis à l’entreprise de parvenir à la maîtrise complète du processus de fabrication d’une charge modulaire. Véritable « allumette » à l’origine de la combustion de la charge, le tube allumeur de charge (TAC) était autrefois rempli d’une pâte noire par l’entremise d’un partenaire externe. Construire cette compétence en interne exigeait cependant de répondre à une contrainte : un stockage de la poudre à l’origine de la pâte noire limité à 10 kg par jour. Bien trop peu pour anticiper l’autonomie nécessaire aux montées en cadence.

 

La solution ? Le stockage des composants – non dangereux – constitutifs de la poudre, désormais produite sur place et à la demande. Quant à la question des volumes, un duo de techniciens y a répondu grâce à l’impression 3D. Développé en 18 mois, le procédé baptisé « Automatic Dough Direct Deposit » (A3D), permet d’imprimer un boudin de pâte noire hélicoïdal directement à l’intérieur du tube allumeur. Le tout, automatiquement, rapidement et en continu via les quatre « imprimantes » installées dans l’atelier RIC. Un millier de tubes en sortent chaque jour, un volume qui pourrait monter à 1500 avec l’ajout de deux machine supplémentaires. Compactes et simples à maintenir, ces machines sont aussi faciles à déplacer, à dupliquer ou à remplacer. Surtout, elles évitent de tout miser sur un gros outil capacitaire unique susceptible de gripper l’ensemble de la chaîne en cas de panne. 

 
Une stratégie au long cours
 

Très médiatisé, le cas bergeracois n’est pourtant qu’un pan d’une stratégie d’ensemble visant à doubler la capacité de l’ensemble des sites. Voire, d’aller bien au-delà dans certains cas. « La demande est tellement importante qu’il faut aussi accélérer en Suède », pointe Vincent Dehaes. L’investissement qui y est consenti permettra de passer de moins de 100 tonnes à 700 tonnes de poudre gros calibre produite par an d’ici deux ans, une manoeuvre qui bénéficiera des retours de l’expérience bergeracoise. 

 

En Belgique, le sursaut relève principalement du doublement de la capacité de fabrication de poudres de petit calibre et de la création d’un hub de production de matières premières nécessaires pour la poudre gros calibre. Clermont fonctionne actuellement cinq jours sur sept. D’ici la fin de l’année, et une fois actés les permis nécessaires, il tournera en continu. Principal producteur européen et deuxième à l’échelle mondial, le site belge ne devrait avoir aucun mal à suivre une demande en hausse de par la combinaison des conflits en cours et du recomplètement des stocks nationaux. Plusieurs pays avancent déjà à marche forcée dans cette direction. « Les Allemands, notamment, ont un stock stratégique pour lequel ils ont déjà engagé des actions », nous explique-t-on. 

 

« Nous investissons ailleurs en Europe. Avec nos partenaires munitionnaires européens, des avons projets de mise en place d’usines de poudre et de charges modulaires dans d’autres pays que la France, la Suède et la Belgique », annonce Thierry Francou. Non détaillés car objet de négociations, ces projets devraient entre autres déboucher sur la production d’ « un autre gros million » de charges modulaires sur le sol européen. 

 
Chez-EURENCO-lacceleration-sans-poudre-a Unique au monde, le procédé automatique de création du boîtier de la charge modulaire est l’une des clefs qui ont ouvert le marché américain à EURENCO
(Crédits : EURENCO)
 

À ces projets européens viennent s’ajouter la création d’une nouvelle implantation à Houston (Texas), fruit d’un contrat de près de 900 M€ décroché auprès de l’US Army. Avec son partenaire américain, Day & Zimmermann, EURENCO installera une ligne de fabrication de boîtiers de charges modulaires directement inspirée des lignes des Bergerac mais dimensionnée pour sortir trois fois leur volume actuel, soit 1,5 million de boîtiers à l’année. 

 

Tous, à l’exception du cas américain, vont bénéficier d’un soutien financier octroyé par l’Europe via le mécanisme « Act in Support of Ammunition Production », levier d’accélération abondé à hauteur de 500 M€. Avec 76 M€ de subventions obtenues, « nous sommes parmi les industriels qui ont été les plus encouragés, les plus soutenus malgré une taille d’ETI. Cela démontre notre centralité dans le paysage européen », se félicite Yves Traissac, directeur général du groupe et patron d’EURENCO France. 

 

L’essentiel, 47 M€, viendra appuyer le projet POURPRE de Bergerac. Une dizaine de millions d’euros soutiendra l’effort à venir en Suède. Le reste ira à Sorgues pour y poursuivre la montée en puissance de la fabrication d’explosifs. Connue pour sa production d’explosifs pour obus et bombes, l’usine de Sorgues l’est moins pour sa capacité de remplissage de munitions d’artillerie. S’il n’est pas un munitionnaire, EURENCO y remplit en effet 25 000 obus par an pour quelques grands noms du secteur, à commencer par le groupe allemand Rheinmetall.

 

ASAP s’avère in fine être un appui précieux pour l’accélération visée par EURENCO. Si la mécanique était dans tous les cas lancée, le dispositif européen permet d’éviter un passage chronophage et toujours un peu hasardeux par des prêts bancaires. « Si nous n’avions pas eu ces aides, nous aurions été obligés de décaler un certain nombre de sujets dans le temps pour avoir les capacités de les financer », souligne Yves Traissac. 

 

Le coup de pouce européen participera également à améliorer la rentabilité sur le long terme. Car si EURENCO fait face aujourd’hui à une bulle de la demande, rien ne dit que celle-ci n’éclate pas un jour. « Tous nos investissements sont pensés pour que, le jour où cette bulle disparaît, nous soyons encore rentables », relève Thierry Francou. La dynamique amorcée est donc double. D’une part, il s’agit de répondre rapidement aux nouveaux enjeux d’accroissement de capacité et, d’autre part, il convient d’anticiper un retournement de tendance tout en confortant sa place d’acteur de référence dans la durée. Et éviter la rationalisation qui avait, il y a tout juste vingt ans, conduit à la création d’EURENCO. « Nous sommes une société de long terme, dans les bons comme dans les mauvais moments », estime Thierry Francou. 

Ya Rab Yeshua.

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